- Ah coquine ! hier soir je t'ai suivi jusqu'au cimetière et je sais à présent qui tu es vraiment !
La sorcière, imperturbable, le fixa d'un regard noir et répondit :
- Ainsi tu m'as vu; tu as vu ce qu'aucun mortel n'a le droit de voir mais dès à présent, tu ne me verras plus jamais avec le regard d'un homme !
Elle prononça sur lui quelques paroles magiques et aussitôt notre pauvre homme fut transformé en chien ! Puis elle prit le balai et chassa notre malheureux hors de la maison.
«Quel malheur d'avoir épousé une sorcière; me voilà dans le plus pitoyable des états !», pensa t-il. Il courrut vers la maison des voisins, vers les gens qu'il connaissait, mais à chaque fois, il se faisait repousser.
- Va-t'en chien errant, va porter tes puces ailleurs, on n'a pas besoin de toi ! disaient-ils.
Pendant plusieurs jours il se mit donc à errer ici et là, tentant de trouver de quoi se remplir le ventre. Mais chaque fois qu'il trouvait un os à ronger, d'autres chiens, plus aguerris, lui tombaient dessus, lui dérobant le précieux repas. Affamé, épuisé et déprimé il déambulait dans les rues de la ville quand une boulangère le remarqua :
- Quel joli petit chien ! tu me serais bien utile pour garder ma boulangerie ! veux-tu venir avec moi ? je vais te donner quelque chose à grignoter.
Evidemment il ne se fit pas prier et, la queue frétillante, se mit à suivre cette brave femme. Elle lui donna à manger, le lava et l'installa devant la cheminée où il put enfin dormir paisiblement.
Le lendemain, reconnaissant, il mit tout en œuvre pour aider la gentille boulangère : il faisait tout ce qu'on lui demandait, ouvrait et fermait la porte aux clients, surveillait les éventuels voleurs et leur grognait quand cela s'avérait nécessaire. Grâce à son ouie devenue très fine, il était capable de reconnaître les fausses pièces des vraies rien qu'en les entendant tinter. De nombreuses fois, il avait déjoué les plans de petits malins qui essayaient de couilloner sa maîtresse.
Cette particularité vint un jour aux oreilles d'une vieille femme qui avait la réputation d'être guérisseuse. Elle se présenta à la boulangerie et, voyant l'habileté du chien s'exclama :
« Mais ce chien est humain ! il ne peut en être autrement : on a du lui jeter un sort ! ».
Ceci dit, elle sortit de dessous ses jupons une fiole contenant un liquide étrange et en aspergea notre canidé de la tête à la queue. Aussitôt le chien redevint homme et embrassa longuement la vieille femme ainsi que sa bienfaitrice. Les effusions passées, il raconta en détail son histoire et comment il avait été transformé.
- A présent, tu dois faire très attention, dit la vieille femme, si ton épouse se rend compte que tu es redevenu humain, elle peut te transformer à nouveau. Imagines qu'elle te change en crapaud ou en vers luisant ! Prends cette fiole et gardes-la sur toi. Dès que tu verras ta femme, lances son contenu sur elle, sans perdre de temps, et ce coup-ci, se sera toi qui la changera en bête. Tu n'auras qu'à prononcer le nom de l'animal que tu souhaites.
Notre homme remercia encore longuement ses deux amies et, un peu avant minuit, retourna chez lui. Il se dissimula derrière la porte d'entrée pour surprendre sa femme à son retour du sabbat. Quand celle-ci arriva, elle eut à peine le temps de franchir le seuil que déjà elle était aspergée du liquide magique.
- Que tu sois cavale ! dit l'homme.
Aussitôt dit aussitôt fait : le femme se transforma en jument. Notre homme prit un fouet et lui donna une volée de coups si forts que la jument n'eut plus la force de partir. Le lendemain, il vendit la bête au "poubellaïre" de la ville et, depuis, c'est elle qui en ramasse les ordures.
FIN
