Au début du siècle dernier, de grands vaisseaux arrivaient de ports lointains et inconnus et pénétraient dans la Baie des Chaleurs jusqu’aux estuaires les plus éloignés. Ils s’y arrêtèrent. Lorsque ces vaisseaux approchaient des côtes, ils amenaient leurs voiles et hissaient un pavillon qui signifiait qu’ils avaient besoin d’un pilote expérimenté pour les aider à s’approcher du littoral. A cette époque, il n’y avait pas de phares, ne de bouées, aucune aide à la navigation et surtout, pas de quai. Une fois le navire solidement ancré en lieu sûr, ils partaient à la recherche de fourrures.
Ces maraudeurs marins visaient particulièrement les villages indiens, parce qu’ils savaient que les habitants étaient vulnérables, faciles à exploiter. Les Indiens échangeaient leurs précieuses pelleteries contre des nouveautés et des articles sans valeur. Par la suite, les brigands leur donnaient de l’alcool et volaient toutes leurs fourrures.
Parmi ces pirates, le tristement célèbre Capitaine Craig était certainement le plus connu. Il parlait assez couramment le dialecte local, puisqu’il visitait les autochtones une fois par année.
Par un beau matin tranquille, on aperçut le vaisseau du Capitaine Craig sur les eaux de la Baie. En se rapprochant du littoral, le capitaine hissa son pavillon pour faire venir le pilote. Celui-ci embarqua dans un petit bateau pour traverser jusqu’au navire qu’il guida par la suite vers l’endroit choisi par le capitaine, un village indien. Son travail terminé, le pilote rentra chez lui pour attendre le signal du départ.
Vers la fin de l’après-midi, l’équipage ayant accompli leurs devoirs à terre, le navire envoya le signal au pilote qui se chargerait de guider le navire à travers la zone dangereuse jusqu’à la mer. A peine avaient-ils levé l’ancre que le pilote entendit des cris et des gémissements. Il donna l’ordre au Capitaine Craig d’amener immédiatement ses voiles et jeter l’ancre. Au début, le capitaine et son premier lieutenant refusèrent d’obéir, mais lorsque l’énorme pilote menaça de les lancer à l’eau, ils firent ce qu’il leur avait demandé. Et quelle surprise ! Le pilot découvrit deux jeunes Indiennes, ligotées et cachées sous un tas de pelletries. Les pirates avaient kidnappé les jeunes filles pendant que leurs parents étaient saouls. Le capitaine et son premier lieutenant avaient prévu violer les deux filles et les jeter à la mer après. C’est ce qu’ils faisaient, ou essayaient de faire, chaque fois qu’ils visitaient le village.
Après avoir libéré les deux jeunes filles, le pilote les ramena à terre pour qu’elles puissent retourner à leur tribu. Elles ne savaient pas trop comment le remercier de les avoir sauvées d’un sort épouvantable. Elles l’avertirent qu’il ne devait pas retourner au navire, puisqu’un grand malheur allait se produire. Malheureusement, il ne suivit pas leurs conseils.
Malgré tout, on finit par lever l’ancre et hisser les voiles. À peine dix minutes plus tard, un grand remous se produisit, fracassant le grand navire sur les roches. Tous les membres de l’équipage, sauf le capitaine et son premier lieutenant, moururent sur le coup. Quant au pilote, qui nageait comme un poisson, il réussit à regagner la côte qu’il avait quittée à peine quelques minutes auparavant.
Le capitaine et son premier officier se noyèrent avant d’atteindre la terre ferme. On essaya en vain de les ressusciter. Les deux jeunes Indiennes étaient toujours là, tremblant de peur. Elles avaient vu le naufrage et priaient Dieu de secourir leur sauveteur. Lorsque le pilote eut repris ses forces, on lui prêta un bateau pour qu’il puisse rentrer chez lui.
Ce même soir, alors que le temps était toujours calme sous un ciel orageux, on vit glisser une énorme lumière rouge sur la surface de la baie. C’était une boule de feu qui prit la forme du navire du Capitaine Craig. On y aperçut même les membres de l’équipage qui amenaient les voiles, jetaient l’ancre et hissaient le pavillon pour appeler le pilote. Et ce n’était pas la seule fois qu’on aperçut le navire dans une boule de feu.
Pour voir l’apparition, le temps doit être exactement comme la journée du naufrage. Plusieurs habitants de la région de Bathurst affirment avoir vu plusieurs fois cette apparition légendaire. Quelques-uns disent avoir vu le navire en plein jour qui se dirigeait vers la terre, qui arrêtait à une centaine de pieds seulement de la rive, et qui disparaissait ensuite comme par magie.

Théories
Des dizaines de milliers d’observateurs affirment avoir observé ce phénomène, des scientifiques essaient depuis un demi-siècle de d’en découvrir le secret, quelques pêcheurs audacieux ont essayé de le rejoindre avec leurs goélettes, mais le «navire de feu» qui navigue sur les eaux de la Baie des Chaleurs entre la côte nord du Nouveau-Brunswick et la Gaspésie demeure toujours enveloppé de mystère.
Bien que ce phénomène ait été observé par plus de personnes que toute autre apparition inexpliquée au Canada, il reste aussi insaisissable que le bout de l’arc-en-ciel. Ceux qui ont osé le poursuivre disent qu’il garde toujours la même distance, et ceux qui l’ont observé en utilisant un télescope affirment que le grossissement ne révèle aucun détail imperceptible à l’œil nu.
La plupart des observateurs voient un bateau en flammes. Le navire de feu est le roi indiscutable de la flotte des ténèbres, se distinguant autant des autres navires fantômes qu’un paquebot d’un minable tramp. Il parcourt les rivages du nord du Nouveau-Brunswick sur une distance de cent-vingt-cinq milles, entre la ville papetière prospère de Dalhousie, près de l’estuaire de la rivière Restigouche au bout de la Baie des Chaleurs, jusqu’à Bathurst et l’Île Miscou, où la Baie rejoint le Golfe du St-Laurent.
Il peut demeurer stationnaire pendant des heures et disparaître peu à peu ou il peut émettre une lueur brillante et disparaître tout d’un coup; il peut frôler les vagues à la vitesse du vent. Certains déclarent avoir vu le navire de feu en plein jour, mais en général, l’évidence laisse croire qu’il se montre seulement la nuit.
Les pêcheurs en discutent très volontiers, certains croyant qu’il s’agit d’un phénomène naturel, d’autres affirmant qu’il s’agit d’une manifestation surnaturelle. Quelques-uns vont jusqu’à traiter d’ignorants les tenants de la thèse fantôme. Par contre, des centaines d’hommes et de femmes bien respectés dans leur milieu jurent qu’ils ont vu un navire en flammes dont l’existence n’a aucune explication scientifique.
En fait, il y a quelques années, par une journée très chaude du mois de juillet, il y avait une brume de chaleur au-dessus de la mer devant la plage Youghall. La foule était nombreuse sur la plage, alors il y avait beaucoup de témoins oculaires lorsque tout d’un coup le Vaisseau fantôme fit son apparition. En regardant le long de la côte, on aurait dit que le navire se trouvait au large de Belledune, à deux milles environ de la plage.
La nouvelle circulait très rapidement sur la plage. On a eu le temps d’aller chercher des jumelles et de les passer aux autres, puisqu’on a pu l’observer pendant plus d’une demi-heure. Certains de nos enfants l’ont vu. Tout le monde s’enthousiasmait, tout le monde parlait, tout le monde avait les yeux rivés sur le bateau. C’était une apparition merveilleuse et incroyable.
Il y a des scientifiques qui expliquent qu’il s’agit de feu St-Elme – une décharge électrique lumineuse plus ou moins continu de l’atmosphère vers la terre, mais le feu St-Elme se manifeste normalement à l’extrémité d’un objet pointu tel qu’un clocher d’église ou le mât d’un bateau. De plus, le feu s’accompagne normalement d’un bruit de craquement. L’apparition de la Baie des Chaleurs, selon les dissidents, n’a rien à voir avec des objets pointus, ne se montre qu’au-dessus d’une grande étendue d’eau et ne fait aucun bruit.
Une autre théorie voudrait que le navire de feu ne serait qu’une boule de gaz inflammable possiblement émise d’une faille sous-marine qui serait également responsable de la distribution de boules de houille bitumineuse sur nos plages blanches.
Une troisième possibilité, c’est que l’illusion du navire de feu serait créée par une forme de vie marine phosphorescente. Cette idée fait rigoler les biologistes, puisqu’on a déjà vu le navire de feu en plein hiver quand la Baie des Chaleurs était recouverte de glace.
A l’ouest de Caraquet, au fond de la Baie des Chaleurs et à Campbellton, on associe généralement le navire de feu au Marquis de Malauze, une frégate de la marine française poursuivie jusqu’à la Rivière Restigouche et coulée par les Anglais en 1760. Cette version de l’histoire serait plus vraisemblable si ce qui reste du Marquis ne reposait pas si tranquillement dans le jardin du monastère sur la réserve indienne à Pointe-à-la-Croix, au Québec.
Et, en fin de compte, il y a le vaisseau fantôme du Capitaine Craig, l’explication la plus spectaculaire de toutes !