Trancher la corde qui me rattachait à la vie, pour sceller mon destin, à jamais peut- être... Les blessures occasionnées par ma chute sur la terre moite me faisaient mal. Des égratignures tatouaient mes bras ainsi que mon visage. Je sentais le goût amer du sang couler sur mes lèvres, provenant sans doute d’une entaille au front.
Après ma chute, je ne saurais dire combien de temps je restai évanoui ni combien de jours s’écoulèrent. Quand je revins à moi, j’entrepris d’explorer les souterrains obscurs, gravés de signes et de dessins représentant des animaux aux formes inquiétantes, inconnus de moi.
Ces bêtes, disparues de la surface terrestre, ne ressemblaient en rien à celles qu’on reconstituait dans les musées de la préhistoire. Pas plus que n’était répertorié par l’institut géographique, ce tunnel creusé par l'érosion du temps qui était de la hauteur d'un homme de grande taille. Mes mains palpaient la roche humide. Une nappe phréatique devait couler non loin de là. Je marchais depuis une heure environ, bien que le temps n’ait eu aucune signification ici-bas, lorsque soudain, mes oreilles perçurent un bruissement.
Un étrange écho se répercutait derrière moi, autre que celui de mes pas. L’effroi me glaçait à tel point que je n’avais pas le courage de me retourner pour projeter ma torche dans l’obscurité. Cet endroit sinistre laissait pressentir que de terrifiantes horreurs étaient tapies dans les pores de la terre. Les ombres naturelles aux formes hideuses qui se créaient tout autour, rendaient l’atmosphère encore plus étrange. Ce climat angoissant fut accentué lorsque je découvris des ossements épars...
Depuis peu, et en raison de l’écho répété, j'avais la certitude d’être suivi. J’accélérai mon pas, mes sens n’étaient plus sûrs de ce qu'ils entendaient, ma main tremblait, et pourtant il fallait demeurer calme. Mais comment le rester lorsque l'on a derrière soi une chose émettant un sifflement immonde, et semblant se déplacer en rampant ? Face à moi se trouvait une bifurcation séparant le tunnel en deux couloirs, devant laquelle je m’arrêtai. Ressentant mon hésitation, la chose s'immobilisa.
Mais j'aurais encore mieux aimé entendre derrière moi ce bruit de reptation, plutôt que ce gargouillement innommable ne pouvant être produit par aucun organe humain, en provenance de l’une des deux galeries. Ce borborygme se faisait de plus en plus net, se rapprochant de moi, mais il m'était impossible d’en localiser la source exactement. Et derrière moi, la chose rampante reprenait son avancée malsaine.
Je devais briser cette barrière invisible de peur qui me paralysait. Je balayai cette obscurité épaisse du faisceau de ma torche qui hélas, se faisait de plus en plus faible. Ce n'est qu'à mon instinct de survie que je dus de ne pas tomber dans l'inconscience la plus totale. En effet, il y avait sur cette terre glaiseuse des empreintes de pieds de taille anormale, dont l’aspect rappelait celui de palmes... De plus, le relief de ces pas laissait imaginer la forte corpulence de la créature à laquelle ils appartenaient...
Le gargouillement au devant s'amplifia ! Je ne pouvais pas revenir en arrière car la chose m’attendait… Pourtant, fuir le danger est inutile lorsque l’on se trouve dans l’antre des prédateurs… Je décidai de faire demi-tour et de lui faire face. J’étais terrorisé. Qu’allais-je découvrir ? Venait-elle en amie ou en ennemie ?...
Son souffle tiède et fétide m’indiquait qu’elle était proche. Elle devait se trouver à quelques centimètres de moi. Une forme noire se dressa alors devant mes yeux. Très vite, je compris le danger. Je sentais la haine de la bête féroce m’envahir… Je tentai de lui assener un coup de poing… en vain. Mais peut-on assommer le vide ?
Cette chose se déplaçait rapidement, esquivant tous mes assauts. Des griffes aiguisées lacérèrent mon visage, me meurtrissant douloureusement. Des crocs puissants s’enfoncèrent dans mes cuisses... J’implorai que l'on me porte secours, mais seul l’écho de ma voix me venait en aide.
La pénombre rendait plus difficile la précision de mes attaques. Armé de la machette, je donnais des coups désordonnés qui parvinrent enfin à toucher mon adversaire, pour pénétrer lentement dans un corps mou. Un râle intense de souffrance retentit dans toute la grotte, laissant place quelques minutes plus tard à un silence morbide. La lutte était terminée.
Impossible dans cette obscurité de distinguer le moindre trait de l'animal que j'avais vaincu car la lumière qui guidait mon pas aveugle dans ces méandres de l'horreur venait de m’abandonner. Eprouvé par le combat, je pris au hasard le tunnel de droite aux dimensions plus réduites pour me sortir de cet univers halluciné. Quelques instants après, des bruits sourds se firent entendre, mais je savais que ce n’était pas la chose rampante. Je luttai pour ne pas céder à la panique. Une autre créature immonde venait à moi, sûrement alertée par les bruits du combat. Elle était désormais toute proche…
Mais combien étaient-elles ? Où se cachaient-elles ?... Ne cherchant pas de réponses à mes questions je me mis à courir, trébuchant sur des pierres et me heurtant aux parois qui envenimaient mes blessures. Soudain, un cri tout droit sorti des gorges de l'enfer me terrorisa. Tout semblait indiquer que la créature pleurait son compagnon. Le hurlement qu'elle exhala indiquait clairement son odieux objectif. Je n'avais aucune chance de survie dans cette grotte ignorée des hommes, et habitée par quelque puissance infernale...
Au bout du tunnel, j'aperçus de la lumière qui se propageait dans une autre galerie. Je m’y précipitai hâtivement malgré les blessures que m’avait causé la bataille. Je ne saurais donner une explication sensée, mais toute la crypte, gelée par les siècles, était illuminée. Une rivière souterraine y coulait paisiblement.
Des stalactites aux couleurs de l’arc-en-ciel menaçaient de tomber, tandis qu’une musique venue d’ailleurs m'enveloppait dans une extase infinie. Des chauves-souris aux membranes osseuses étaient suspendues à ces pics opaques faits de glace. Il me semblait même entendre le chant des oiseaux... Quel paradoxe de douceur dans ce cauchemar démoniaque qui ne voulait pas en finir !
Leurs chants suaves, unis au murmure cristallin de la rivière, s’effacèrent peu à peu pour laisser place à une autre musique. Pareilles dissonances n’auraient pu être imaginées par aucun compositeur digne de ce nom. L’indiscible approchait dans un fracas sourd. Les chauves-souris et les oiseaux, affolés, s’envolèrent dans la plus grande des confusions. La rivière me sembla changer de couleur. Des rongeurs sortis de nulle part semblaient effrayés, le climat dans ce noyau infernal était apocalyptique.
C’est alors qu’au loin dans un recoin, une silhouette se dessina lentement. La vision de cette... atrocité… fit cesser les battements de mon coeur. Elle était difforme et voûtée, ses yeux mi-clos étaient révulsés de haine, ses pieds étaient palmés et ses mains griffues. Tous les démons de l'enfer s'étaient acharnés sur cette horreur supraterrestre. Un liquide verdâtre suintait de son orifice ombilical de manière écoeurante… de longs poils noirs et épais recouvraient tout son corps… Elle semblait être dotée d’une force surhumaine. L'écume de la démence aux lèvres, le monstre vociféra dans un dialecte incompréhensible....
Mon récit doit s'achever là, car je ne suis plus très sûr de m’être engagé dans un autre tunnel pour descendre inexorablement au plus profond de la terre, afin d’échapper à cette chose maudite qui a été un jour, je pense... un homme ! Pourtant, j’ai la certitude que l’on m’a transporté sur le rivage de Manaus, pour que quelqu’un me découvre et me transporte dans l’unique hôpital psychiatrique de la région.
Je n’ose imaginer que cette chose innommable soit sortie de sa tanière pour m’y déposer, bravant tous les dangers, et surtout le regard des autres. Quelle en aurait été la raison ?... Une question hante mon esprit : y avait-il une autre personne dans cette grotte, témoin de mon malheur ?... Autant de questions qui resteront sans réponse. Si l'on me demandait de relater mon histoire, je répondrais qu'une amnésie partielle l'a effacée de ma mémoire. D’ailleurs, qui me croirait ?
Lorsque la nuit généreuse dévoile ses mille lumières, j'entends depuis ma chambre d’hôpital, dominant un vaste parc longé par une rivière vaseuse, un bruit de reptation associé à ce sifflement immonde que je ne pourrai jamais oublier, et qui ne peut provenir que de...
Elle m'a retrouvé… et elle m’attend !