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Les contes de la crypte : Beauté meurtrière
08/04/2010 01:08
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La créature sauvage
20/04/2010 00:44
La créature sauvage
Dans les contrées sauvages de l’Amazonie, non loin d’Iquitos, la rivière de Purus prenait fin dans un large bassin naturel. Au bas de cette cascade bruyante et bouillonnante, les branches des arbres centenaires venaient pourlécher l'écume de l'instant. Tout autour, on pouvait distinguer de fines gouttelettes bleutées qui embrassaient les baies sauvages, révélant la rosée matinale.
Le pourpre des roses amazoniennes contrastait avec d’autres fleurs exotiques aux teintes opalines. Dans les replis naturels où les rayons du soleil ne pouvaient s’infiltrer, les fougères dissimulaient des serpents venimeux et d’autres reptiles visqueux tout aussi mortels. Posés sur des fleurs odoriférantes et épanouies, des papillons aux mille couleurs charmaient mes yeux. Des araignées hybrides, de la taille d’une main, tissaient entre les arbres des toiles soyeuses à l’élégante géométrie. En haut des arbres, je pouvais observer différentes races de primates qui envahissaient l’espace de leurs cris perçants.
Lors de mon excursion, destinée à analyser l’évolution de la faune et de la flore dans cette région oubliée des indigènes, mon attention fut captée par une grotte aux entrailles béantes, enveloppée d’une brume vaporeuse. Malgré ces abords sinistres, une attirance irrépressible me poussa à explorer dans la plus totale inconscience ce puits infernal situé non loin de la rivière. Par chance, j’avais en ma possession une corde solide, une machette et une puissante torche.
C’est sans doute en raison de l'incident tragique qui eut lieu lors de ma descente aux enfers, que je me suis retrouvé à l'hôpital du village le plus proche en plein délire, aux dires des hommes en blanc. Cette fascination me poussant au fin fond de l'inconnu m'a peut-être rendu fou...
De vagues souvenirs martèlent cependant mon cerveau. Je me rappelle l'atmosphère lourde qui régnait au sein de cet abîme. Je me souviens aussi qu'une odeur putride me donnait la nausée, entraînant des vertiges et troublant mes sens. J’ai en mémoire ce boyau qui se rétrécissait de plus en plus, protégé ainsi de toute intrusion humaine, et mes chairs cruellement meurtries par des dents acérées. La corde à laquelle j’étais attaché, qui mesurait une dizaine de mètres, prit fin peu avant que j’atteigne le sol.
Pris d'une peur panique, je voulais remonter pour m'enfuir de cette tombe qui semblait se trouver au coeur de l’enfer, mais je ne pouvais plus. Tous mes membres sous l’effort étaient tétanisés. Mes forces m’abandonnaient. J'étais au bord de l’épuisement. La pression de la corde sur mon thorax était si forte que j’avais peine à respirer. Je devais à tout prix m'en libérer à l’aide de la machette, car l’asphyxie me gagnait. Quelle ironie du sort...
Trancher la corde qui me rattachait à la vie, pour sceller mon destin, à jamais peut- être... Les blessures occasionnées par ma chute sur la terre moite me faisaient mal. Des égratignures tatouaient mes bras ainsi que mon visage. Je sentais le goût amer du sang couler sur mes lèvres, provenant sans doute d’une entaille au front.
Après ma chute, je ne saurais dire combien de temps je restai évanoui ni combien de jours s’écoulèrent. Quand je revins à moi, j’entrepris d’explorer les souterrains obscurs, gravés de signes et de dessins représentant des animaux aux formes inquiétantes, inconnus de moi.
Ces bêtes, disparues de la surface terrestre, ne ressemblaient en rien à celles qu’on reconstituait dans les musées de la préhistoire. Pas plus que n’était répertorié par l’institut géographique, ce tunnel creusé par l'érosion du temps qui était de la hauteur d'un homme de grande taille. Mes mains palpaient la roche humide. Une nappe phréatique devait couler non loin de là. Je marchais depuis une heure environ, bien que le temps n’ait eu aucune signification ici-bas, lorsque soudain, mes oreilles perçurent un bruissement.
Un étrange écho se répercutait derrière moi, autre que celui de mes pas. L’effroi me glaçait à tel point que je n’avais pas le courage de me retourner pour projeter ma torche dans l’obscurité. Cet endroit sinistre laissait pressentir que de terrifiantes horreurs étaient tapies dans les pores de la terre. Les ombres naturelles aux formes hideuses qui se créaient tout autour, rendaient l’atmosphère encore plus étrange. Ce climat angoissant fut accentué lorsque je découvris des ossements épars...
Depuis peu, et en raison de l’écho répété, j'avais la certitude d’être suivi. J’accélérai mon pas, mes sens n’étaient plus sûrs de ce qu'ils entendaient, ma main tremblait, et pourtant il fallait demeurer calme. Mais comment le rester lorsque l'on a derrière soi une chose émettant un sifflement immonde, et semblant se déplacer en rampant ? Face à moi se trouvait une bifurcation séparant le tunnel en deux couloirs, devant laquelle je m’arrêtai. Ressentant mon hésitation, la chose s'immobilisa.
Mais j'aurais encore mieux aimé entendre derrière moi ce bruit de reptation, plutôt que ce gargouillement innommable ne pouvant être produit par aucun organe humain, en provenance de l’une des deux galeries. Ce borborygme se faisait de plus en plus net, se rapprochant de moi, mais il m'était impossible d’en localiser la source exactement. Et derrière moi, la chose rampante reprenait son avancée malsaine.
Je devais briser cette barrière invisible de peur qui me paralysait. Je balayai cette obscurité épaisse du faisceau de ma torche qui hélas, se faisait de plus en plus faible. Ce n'est qu'à mon instinct de survie que je dus de ne pas tomber dans l'inconscience la plus totale. En effet, il y avait sur cette terre glaiseuse des empreintes de pieds de taille anormale, dont l’aspect rappelait celui de palmes... De plus, le relief de ces pas laissait imaginer la forte corpulence de la créature à laquelle ils appartenaient...
Le gargouillement au devant s'amplifia ! Je ne pouvais pas revenir en arrière car la chose m’attendait… Pourtant, fuir le danger est inutile lorsque l’on se trouve dans l’antre des prédateurs… Je décidai de faire demi-tour et de lui faire face. J’étais terrorisé. Qu’allais-je découvrir ? Venait-elle en amie ou en ennemie ?...
Son souffle tiède et fétide m’indiquait qu’elle était proche. Elle devait se trouver à quelques centimètres de moi. Une forme noire se dressa alors devant mes yeux. Très vite, je compris le danger. Je sentais la haine de la bête féroce m’envahir… Je tentai de lui assener un coup de poing… en vain. Mais peut-on assommer le vide ?
Cette chose se déplaçait rapidement, esquivant tous mes assauts. Des griffes aiguisées lacérèrent mon visage, me meurtrissant douloureusement. Des crocs puissants s’enfoncèrent dans mes cuisses... J’implorai que l'on me porte secours, mais seul l’écho de ma voix me venait en aide.
La pénombre rendait plus difficile la précision de mes attaques. Armé de la machette, je donnais des coups désordonnés qui parvinrent enfin à toucher mon adversaire, pour pénétrer lentement dans un corps mou. Un râle intense de souffrance retentit dans toute la grotte, laissant place quelques minutes plus tard à un silence morbide. La lutte était terminée.
Impossible dans cette obscurité de distinguer le moindre trait de l'animal que j'avais vaincu car la lumière qui guidait mon pas aveugle dans ces méandres de l'horreur venait de m’abandonner. Eprouvé par le combat, je pris au hasard le tunnel de droite aux dimensions plus réduites pour me sortir de cet univers halluciné. Quelques instants après, des bruits sourds se firent entendre, mais je savais que ce n’était pas la chose rampante. Je luttai pour ne pas céder à la panique. Une autre créature immonde venait à moi, sûrement alertée par les bruits du combat. Elle était désormais toute proche…
Mais combien étaient-elles ? Où se cachaient-elles ?... Ne cherchant pas de réponses à mes questions je me mis à courir, trébuchant sur des pierres et me heurtant aux parois qui envenimaient mes blessures. Soudain, un cri tout droit sorti des gorges de l'enfer me terrorisa. Tout semblait indiquer que la créature pleurait son compagnon. Le hurlement qu'elle exhala indiquait clairement son odieux objectif. Je n'avais aucune chance de survie dans cette grotte ignorée des hommes, et habitée par quelque puissance infernale...
Au bout du tunnel, j'aperçus de la lumière qui se propageait dans une autre galerie. Je m’y précipitai hâtivement malgré les blessures que m’avait causé la bataille. Je ne saurais donner une explication sensée, mais toute la crypte, gelée par les siècles, était illuminée. Une rivière souterraine y coulait paisiblement.
Des stalactites aux couleurs de l’arc-en-ciel menaçaient de tomber, tandis qu’une musique venue d’ailleurs m'enveloppait dans une extase infinie. Des chauves-souris aux membranes osseuses étaient suspendues à ces pics opaques faits de glace. Il me semblait même entendre le chant des oiseaux... Quel paradoxe de douceur dans ce cauchemar démoniaque qui ne voulait pas en finir !
Leurs chants suaves, unis au murmure cristallin de la rivière, s’effacèrent peu à peu pour laisser place à une autre musique. Pareilles dissonances n’auraient pu être imaginées par aucun compositeur digne de ce nom. L’indiscible approchait dans un fracas sourd. Les chauves-souris et les oiseaux, affolés, s’envolèrent dans la plus grande des confusions. La rivière me sembla changer de couleur. Des rongeurs sortis de nulle part semblaient effrayés, le climat dans ce noyau infernal était apocalyptique.
C’est alors qu’au loin dans un recoin, une silhouette se dessina lentement. La vision de cette... atrocité… fit cesser les battements de mon coeur. Elle était difforme et voûtée, ses yeux mi-clos étaient révulsés de haine, ses pieds étaient palmés et ses mains griffues. Tous les démons de l'enfer s'étaient acharnés sur cette horreur supraterrestre. Un liquide verdâtre suintait de son orifice ombilical de manière écoeurante… de longs poils noirs et épais recouvraient tout son corps… Elle semblait être dotée d’une force surhumaine. L'écume de la démence aux lèvres, le monstre vociféra dans un dialecte incompréhensible....
Mon récit doit s'achever là, car je ne suis plus très sûr de m’être engagé dans un autre tunnel pour descendre inexorablement au plus profond de la terre, afin d’échapper à cette chose maudite qui a été un jour, je pense... un homme ! Pourtant, j’ai la certitude que l’on m’a transporté sur le rivage de Manaus, pour que quelqu’un me découvre et me transporte dans l’unique hôpital psychiatrique de la région.
Je n’ose imaginer que cette chose innommable soit sortie de sa tanière pour m’y déposer, bravant tous les dangers, et surtout le regard des autres. Quelle en aurait été la raison ?... Une question hante mon esprit : y avait-il une autre personne dans cette grotte, témoin de mon malheur ?... Autant de questions qui resteront sans réponse. Si l'on me demandait de relater mon histoire, je répondrais qu'une amnésie partielle l'a effacée de ma mémoire. D’ailleurs, qui me croirait ?
Lorsque la nuit généreuse dévoile ses mille lumières, j'entends depuis ma chambre d’hôpital, dominant un vaste parc longé par une rivière vaseuse, un bruit de reptation associé à ce sifflement immonde que je ne pourrai jamais oublier, et qui ne peut provenir que de...
Elle m'a retrouvé… et elle m’attend !
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La mort qui danse !
04/08/2010 05:37

La mort qui danse
Il y a quelques années je relevai dans un quotidien suisse une publicité curieuse qui m'intrigua :
«En compagnie de spécialistes des sciences occultes, venez découvrir l'univers secret du chamanisme et de la magie thibétaine. Pélerinage hors de l'espace et du temps. Places limitées.»
Alléché par cette annonce, je m'inscrivis à ce voyage et, après quelques escales touristiques sans grand intérêt, à Bombay et Delhi, je me retrouvai à Katmandou, au Népal, au milieu d'une population en révolte, un couvre-feu sévère nous confinant à l'hôtel.
L'accompagnateur suisse très embêté, nous dit qu'il serait probablement difficile d'accomplir notre programme.
Au second jour pourtant, un vieux lama mongol, ridé comme une vieille pomme, proposa à trois volontaires de nous faire assister à une cérémonie secrète, interdite par les autorités.
La plupart de nos compagnons de voyage refusèrent l'invitation par crainte, préférant rester à l'hôtel.
Avec une ravissante jeune Suissesse, je fus le seul volontaire. Guidés par le moine et le Dr. K., un de nos accompagnateurs, occultiste renommé, l'on nous fit revêtir un costume du pays, crasseux à souhait, sorte de sac de jute informe avec une grande capuche.
Dans le brouhaha d'une foule excitée, nous nous faufilons à pied, dans un vieux quartier de la ville, où rôdait une population bizarre.
A un moment donné, notre guide nous fait descendre dans une cave de terre battue, où une forte odeur de renfermé et de pourriture nous assaille. La pièce sordide n'est éclairée que par une seule veilleuse à la flamme tremblante.
Quelques défroques pendent aux murs, des masques sinistres, et plusieurs costumes rouges brodés d'or passé, semblables aux antiques dalmatiques des églises byzantines.
Le moine nous pria de revêtir ces vêtements raides de crasse, puis nous coiffa de bonnets phrygiens de la même couleur, tels qu'en portent les prêtres des lamasseries tibétaines.
Ainsi déguisés, nous sommes conduits dans un obscur couloir nauséabond qui déboucha sur une vaste pièce, basse de plafond, où régnait une fumée âcre.
Accroupis ou couchés, plusieurs dizaines de Népalais, Mongols ou Tibétains, fumaient l'opium dans des pipes de terre ou de métal, tandis que les effluves de beurre rance et l'odeur entêtante de la drogue nous prenait à la gorge.
Nous traversons la salle, enjambant les fumeurs, jusqu'à une petite ouverture dans la paroi de terre battue voilée sous une tenture, que nous soulevons pour descendre quelques marches encore.
Là, nous nous retrouvons dans une vaste cave ronde, au plafond voûté, avec en son centre une sorte de cheminée obscure.
De petites lampes à huiles disséminées à même le sol répandent autour d'elles une lumière glauque.
De longues banderoles couvertes de caractères tibétains ou népalais tapissent les parois où, entre ces kadraghs magiques grimacent des masques aux figures terribles.
Au centre de la cave, dans un espace délimité par des chaînes, brûle un feu de bûches odorantes dont la fumée s'échappe par la trouée de la voûte.
De l'autre côté, une fresque aux couleurs vives, éclatantes, représente des scènes apparemment religieuses, grouillant de dizaines de personnages, avec des animaux fabuleux, des êtres fantastiques.
Des brûle-parfums répandent des odeurs entêtantes qui me mettent très mal à l'aise.
Engoncé dans mes vêtements trop ajustés, les tempes prisonnières, manquant d'air, écoeuré par les miasmes, je crains de me trouver mal.
Mais le moine vient me soutenir et m'encourage à reste calme.
Peu à peu cette crypte souterraine se remplit. Betty, la Suissesse, l'accompagnateur et moi, sommes les seuls Européens de cette assemblée. L'atmosphère déjà lourde s'épaissit encore, l'air confiné devient irrespirable.
Soudain, la jeune fille cramponnée à mon bras s'évanouit.
Je la ranime en lui massant doucement les tempes. J'hésite à lui faire de bouche-à-bouche bien que ce ne soit pas l'envie qui me manque. Quand elle revient à elle, je lui murmure:
-Voulez-vous partir d'ici?
- Non ! Je veux assister à tout?
Une sorte de longue plainte s'éleva de la foule qui se transforme en mélopée, puis en chant.
- Que va-t-il se passer? demandai-je à notre cicerone.
- Nous allons assister à la cérémonie du rhô-ling, la réanimation sacrée, selon le rituel chamanique.
Soudain, nous entendons des pas furtifs au-dessus de nos têtes, comme le piétinement d'une foule innombrable.
Mais j'eus beau lever les yeux, je ne vis rien sinon les volutes tourbillonnants d'une fumée bleue qui s'échappaient en se tordant comme des serpents, aspirés par la cheminée.
Entre les kadraghs apparurent, comme s'ils sortaient du mur, sept lamas, marchant d'un pas lent, mesuré, claquant leurs talons de bois sur le sol en un rythme obsédant.
- Voici les gatchads ! nous souffla le Mongol. Ce sont les chamans, des sorciers !
Fardés comme des masques, les pieds nus peints à la chaux, vêtus de tuniques noires à reflets mauves, en forme de sac, ils portaient sur la poitrine le squelette d'une main, index et médius tendus, les trois autres doigts repliés.
D'une maigreur effrayante, on eût dit des momies. Avec effroi, je vis qu'il manquait une main à chacun d'eux, leur bras droit se prolongeant d'un moignon ! Etait-ce la main manquante qui pendait tel un scapulaire sur leur poitrine?
Les doigts de leurs mains gauches étaient étranges. Le petit doigt ressemblait à un serpent, avec un ongle triangulaire d'où dardait une longue épine noire. L'annulaire enserré de bagues noires s'arrondissait en spatule à son extrémité. Le médius, plus court que les quatre autres était boursouflé de verrues.
Quant à l'index, on eût dit une longue griffe effilée et le pouce, bizarre, immense, presque monstrueux se terminait par un marteau rond, en forme d'os fendu.
Se dandinant en demi cercle autour du feu, ils franchirent sans les toucher les chaînes, en chantant une mélopée monocorde.
Dans l'ombre, deux géants nus, au sexe énorme, le crâne rasé, le corps peint de dessins rouges et noirs, soufflaient dans un instrument curieux, que notre accompagnateur nous dit être fait d'ossements humains ! Les kangs !
Serrée contre moi, la jeune Suissesse tremblait. Moi-même bien qu'habitué aux cérémonies étranges du bitwi ou du vaudou, je sentais une sourde angoisse me tenailler.
De temps à autre, les mèches des lampes allumées flambaient brusquement, grésillaient, et répandant une lumière jaune et une fumée âcre, répugnante.
Accroupis sur leurs talons, les prêtres de ce culte étrange se balançaient d'avant en arrière, touchant tantôt le sol devant eux de leurs fronts, leur main squelettique heurtant la terre, tantôt renversés en arrière, arqueboutés tels des acrobates, ils frôlaient de l'occiput, les yeux révulsés, le sol derrière eux.
De longs colliers formés de 108 osselets humains, faisaient un bruit bizarre sur la terre battue.
Etait-ce la musique, les odeurs, l'air confiné, la présence démoniaque de ces étranges lamas, toujours est-il qu'une ivresse m'envahit, allégeant mon corps, balayant toute pensée, toute angoisse de mon être fasciné.
Je ne sentais plus à mes côtés la présence de ma compagne de voyage, ni du moine mongol ou de notre accompagnateur.
Léger, disponible, je voguais sur un nuage, les yeux dans le brouillard bleuté, à travers lequel je voyais danser des images troubles.
Tout à coup, l'un des géants bondit auprès des lamas, traça rapidement deux cercles sur le sol, à l'aide de sa trompette macabre, puis dessina des carrés et des triangles, des croix et d'autres signes probablement magiques !
L'autre chaman inclina son instrument vers le feu, laissant s'écouler la salive accumulée dans le tibia. Le liquide visqueux sembla attiser les flammes qui vinrent lécher les voûtes en jetant des lueurs violettes et vertes. Dans un concert de crépitements, des brindilles dorées s'échappèrent et virevoltèrent sous la voûte, mais aucune ne franchit le cercle circonscrit sur le sol, autour duquel les sept lamas firent la chaîne en se tenant par les moignons !
Ils dansèrent sur place, les visages inondés par la sueur qui ravinait leur masque, poussant des cris rauques entrecoupés de chants.
Un des géants revint avec un animal noir qu'il tenait par les oreilles, et qui se débattait vigoureusement.
Mais à peine l'animal, apparemment un lièvre, approcha-t-il du cercle magique, que ses mouvements stoppèrent et que, porté sur la ligne invisible, son corps se raidit, ses yeux devinrent rouges, immobiles, révulsés, comme fascinés.
Il s'échappa de lui-même des mains du mage, et bondit dans les flammes où il prit feu d'un seul coup, embrasant la cave d'une lumière violente, jetant un cri atroce, quasiment humain.
Du même coup, je vis disparaître dans les flammes les deux chamans géants et leurs sinistres instruments !
La mélopée reprit, d'abord lente, puis plus rapide, syncopée, tandis que les lamas se contorsionnaient de plus en plus frénétiquement autour du feu palpitant au milieu du cercle magique.
Je vis, - mais l'ai-je bien vécu ou seulement rêvé, dans l'état de semi-conscience dans lequel je me trouvais plongé? - je vis les flammes dansantes se transformer peu à peu en deux squelettes se tenant par les bras, des lueurs bleues clignotant au fond de leurs orbites, et dansant au même rythme que les lamas.
Au bout d'une minute ou d'une heure, _ le temps ne comptait plus, _ il me sembla m'éveiller d'une longue léthargie. Suspendue à mon bras, Betty somnolait sur mon épaule. A ma gauche le Mongol semblait en prière. Derrière le cercle magique où les chaînes avaient disparu, le feu se mourait faute de combustible.
Les sorciers n'étaient plus là, ni les squelettes, ni les géants.
Mais soudain, les sept lamas vêtus de noir et de violet reparurent, traînant un long suaire blanc piqueté de taches brunes, aux deux extrémités nouées par des cordons rouges.
Avant même que j'eusse aperçu son contenu, je fus pris de nausées car je savais ce qu'il y avait là-dedans: un cadavre !
Les officiants déballèrent le linceul à l'aide d'un trident et un corps d'homme très maigre apparut. Rongé par des tumeurs, le visage bouffi, avec des taches ignobles sur la peau, des vers grouillant dans les plaies à vif de sa chair blessée, il puait.
L'un des 7 lamas entailla le cadavre d'un poignard recourbé au niveau du front, du cou, du coeur, de l'estomac et du sexe, pratiquant les cinq ouvertures rituelles pour laisser entrer le démon ! comme me le chuchota le Mongol.
Tout à coup, un homme bondit au milieu des chamans. Entièrement nu, jeune et très beau, le corps imberbe, avec un sexe harmonieux, un visage rayonnant. Il s'approcha du cercle magique, bondit au milieu du feu quasiment éteint qui se ranima d'un seul coup, léchant de ses longues flammes pourpres le corps nu du jeune homme. Un autre bond le propulsa devant le cadavre sur lequel il se pencha, puis se coucha de tout son long, épousant de son corps parfait la chair sanglante et putride.
Les yeux fermés, le jouvenceau posa sa jolie bouche sur les lèvres blanches et froides du mort qu'il baisa.
Je vis son corps magnifique étreindre avec force ce macchabée infâme, tandis que l'obscurité se fit plus dense dans la cave enfumée.
Dans un silence total, religieux, à travers les volutes blanches et bleues qui naissaient du foyer, je vis ou je crus voir les deux corps s'animer en même temps.
Ce ne fut d'abord qu'un frémissement, mais le mouvement s'accrut. Je sentis les ongles de Betty s'incruster dans ma peau, tandis que sous nos yeux, spectacle incroyable, le mort avait de longs soubresauts, soulevant le jeune homme qui le tenait toujours embrassé.
Le mouvement s'anima. Dissipée par les flammes du brasero la pénombre nous laissait entrevoir, subjugués, la lutte que se livraient ces deux corps attachés l'un à l'autre.
Soudain, le mort souleva le vivant et se dressa sur ses pieds, entraînant le jeune homme nu dans une sorte de danse frénétique.
La bouche du garçon pressait toujours de ses lèvres la gueule livide, ses jolis bras gracieux serraient toujours la chair avariée contre lui, virevoltant dans l'espace restreint délimité par l'assistance et le cercle magique.
A un moment donné, le jouvenceau arracha d'un coup de dents la langue du cadavre qu'il recracha dans les flammes tandis que son danseur s'effondra à ses pieds comme un pantin disloqué.
Le retour à notre hôtel fut épique. Ravagée par une insurrection, la ville était à feu et à sang. Le spectacle fou de la cave se prolongeait dans Katmandou. Les coups de feu crépitaient, les cadavres jonchaient les rues. Des incendies illuminaient la nuit. Des dizaines de milliers d'émeutiers assaillaient les policiers débordés qui tiraient dans le tas, sans sommation.
Après quelques heures d'un sommeil lourd peuplé de cauchemars, le consulat suisse organisa un convoi pour nous conduire à l'aéroport. Très choqués !
FIN
Maurice L. - Boulogne
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