Un jour en Normandie….
Aurélia, appuyée sur la rambarde en pierre imitation bois qui protégeait le vieil escalier de l’à-pic dominant la falaise, rêvait en regardant moutonner la mer. On était au mois d’août, mais cet après midi, après la forte chaleur des derniers jours, la météo avait viré à l’orage.
La plage, au dessous d’elle, était quasiment déserte et un vent frais faisait virevolter ses cheveux roux. On voyait quelques parasols avec leur robe repliée en grosse écharpe nouée à la taille. Ils faisaient des tâches de couleurs vives. De rares enfants armés d’un seau et d’une pelle, jouaient comme elle autrefois, à construire d’éphémères châteaux de sable qui défiaient les vagues. La mer remontait, elle était couleur de galet. Le ciel était à l’avenant, mais le fond de l’air restait doux, comme un pyjama en pilou.
C’était grisant et un peu magique pour elle de se retrouver là. Pendant que Roger, son ami, était resté à la ferme près de Caen, pour déchaumer. Son fils, à Paris, avait trouvé un job d’été, et achevait de réviser pour ses examens de septembre. Alors, elle était venue seule. Le notaire de Benerville l’avait appelée la veille, pour signer le compromis de vente.
Il lui avait lu la litanie habituelle, et elle avait signé comme dans un rêve ! D’ailleurs, depuis que l’Oncle Barnabé était décédé fortune faite et sans héritier, elle vivait sur un petit nuage. Vingt Millions de francs qui lui tombaient sur la tête, comme ça sans prévenir, cela avait de quoi vous retourner les sangs ! Aurélia réalisait à peine. Elle avait mis l’argent à la banque sur un compte qui lui rapportait 5%, pour ne pas se poser de questions et elle était partie en vacances au bord de la mer. Quelques jours pour faire le point. Seule.
Et elle avait vu cette maison. Presque abandonnée et qui témoignait d’un passé qui avait dû être prospère autrefois ! Au bord de la falaise, elle montait la garde, comme une sentinelle d’un autre âge. Elle dominait la plage, tout en bas. Du balcon des chambres et de la salle à manger, on voyait les vagues qui festonnaient le rivage en moussant et l’horizon baré d’un ciel gris que sillonnaient inlassablement des silhouettes de cargo. Aurélia l’avait trouvée à son goût. Avec ses colombages délavés, ses ardoises qui lui rappelaient l’éternel ciel gris de Normandie, son toit qui faisait une avancée audacieuse, comme pour vous dire qu’il entendait bien protéger ses habitants des embruns commes des vents et des pluies incessantes qui, ici, viennent, en toutes saisons, vous fouetter le visage.
La décoration intérieure laissait autant à désirer que l’extérieur. Mais les fenêtres qui s’ouvraient largement sur le ciel et la mer, les hauts plafonds et le mobilier fin XIX, que la vieille propriétaire avait vendu avec la maison, n’étaient pas dépourvus de charme. Sans parler de l’accès direct à la plage, par un escalier en colimaçon. De palier en palier, il épousait toutes les failles de la roche escarpée, et bon gré mal gré, finissait par atterrir sur le toit en béton armé d’un blochaus de la dernière guerre. L’entrée en était complètement ensablée et il suffisait d’un petit saut pour atterrir sans encombre sur le sol doux de la plage. Aurélia jeta sa serviette éponge ainsi qu’un livre sur le sable.
Sa montre marquait deux heures de l’après midi. Elle avait mangé un steak haché, des pommes de terre sautées et une tranche de melon en dessert. Un coup d’oeil sur la mer et elle constata que celle ci remontait à grandes enjambées. Bientôt, elle serait là tout près, à lui lécher les talons. Les grandes marées ayant considérablement réduit la languette de sable sec ! Mais elle n’en avait cure, sachant qu’aucune vague ne s’enhardirait à venir lui mouiller sa serviette.
Elle s’était confortablement installée. Elle venait juste de rouler son pull autour de ses chaussures pour s’en faire un oreiller, qu’une personne se découpait sur le ciel en ombre chinoise, entre elle, le sable et l’horizon. Elle se releva et cligna des yeux.
Malgré les nuages, la lumière était vive. L’inconnu la toisait. Sans hardiesse, ni vergogne. Tout naturellement. Il était blond, dégingandé, d’un âge incertain entre trente et quarante ans, le cheveux raide, les yeux bleus, habillé d’un short long beige, et d’une chemise claire avec, détail élégant, une fine écharpe de soie blanche négligemment portée autour du cou.
Il s’asseya dans le sable à côté d’elle. Elle le laissa faire. Elle le regarda négligemment, en songeant qu’il ressemblait étonnamment, en plus jeune, à la photo que sa mère lui avait donnée en partant. Celle ci montrait l’oncle Barnabé, faussement désinvolte, la cinquantaine dépassée, un club de golf à la main. La photo avait été prise une dizaine d’années auparavant.
Barnabé était le plus jeune frère de sa mère, de quinze ans son cadet, un dandy, qui avait toujours eu dans la vie une veine sans nom, et le seul survivant de tous ses frères et soeur ! Jusqu’à ce mois de février où il avait brutalement disparu, en Afrique, Dieu sait où, dans un accident d’avion mystérieux. Une mort qui lui allait bien, avait commenté Louise, sa soeur, et la mère d’Aurélia. Barnabé n’aurait pas pu mourir comme tout le monde dans son lit et de vieillesse !
Décédé sans enfant, il avait laissé un testament, où il faisait de sa nièce, qu’il avait pourtant fort peu connue, sa seule héritière. Au détriment de Louise et de ses quatre autres enfants et petits-enfants.
Aurélia, intriguée, regardait l’inconnu, se demandant ce qu’il faisait là, pourquoi il ne disait rien, et qui allait parler le premier. Il n’était pas dénué de charme. Toutefois, son attitude présente la déroutait trop pour qu’elle anticipe sur ce côté de sa personnalité.
D’un seul coup, il lui demanda si elle venait souvent par ici. Si elle était en vacances, et si l’endroit lui plaisait.
-Vous êtes un elf, un magicien, un être virtuel, l’amant de Lara Croft, ou un fantôme, pour surgir comme ça de rien, d’un nuage ou d’un grain de sable ? Je ne vous ai même pas vu arriver ! Et puis, qui êtes vous, pour me poser toutes ces questions ?
-Personne, je passais par là, et j’ai vu votre serviette sous mes pas, c’est tout. Et puis, je vous ai vue, vous, et ça suffit comme explication, non ? Je vous trouve sympathique, c’est pourquoi, je me suis arrêté. Mais si ma présence ou ma conversation vous dérangent et que vous souhaitiez prendre votre livre, je vous laisse.
Il fit mine de se lever. Aurélia, trop curieuse, l’en dissuada.
-Non, ne partez pas, vous m’intriguez !
Un éclair illumina son regard gris. Aurelia fut instanément sur ses gardes, non pas que l’inconnu lui fît peur, mais elle avait détecté l’éternel tombeur. Le séducteur invétéré. Elle se rembrunit. Il s’en aperçut.
-Ca va être difficile de faire connaissance, je crois.
-A vous de voir, répliqua Aurélia. Qui se demandait ce qu’elle préférait, qu’il parte ou qu’il reste ! Elle brulait de savoir qui il était et surtout, ce qu’il faisait là.
-Vous êtes en vacances, comme tout le monde, je suppose, se hasarda-t-elle à dire.
-En week-end, serait plus juste. Je passais par ici en coup de vent, et je suis tombé sur vous.
-C’est aussi simple que ça ?
-Oui.
Le silence reprit le dessus. Aurélia jouait avec la sable, le faisant couler entre ses doigts.
-Vous vous plaisez ici, reprit l’homme ?
-Oui. Beaucoup.
-Et cela fait longtemps que vous venez ici ?
-Non, je viens d’arriver !
-Comme moi, alors?
Ils rirent spontanément et de bon coeur.
-Comme deux inconnus qui se croisent et n’avaient aucune raison de se rencontrer.
-Peut être, et peut être pas, allez savoir ! Répliqua l’inconnu. Il serait indiscret de vous demander comment vous vous appelez ?
-Non, mon nom est Aurélia.
-C’est rare et joli !
-Ah bon ? Mes parents avaient du goût alors ?
-Sans doute.
-Et vous ?
Il marqua un temps d’arrêt. Mon nom commence par un B.
-C’est un secret d’Etat ?
-Quoi ?
-Eh bien, votre nom ! B…. C’est un peu juste, non ?
-J’aimerais que cela vous suffise. Vous voulez que je vous dise n’importe quoi ? B, comme Bebert ou Bernard, ou Bertrand ou..
-Non, dites moi seulement comment je dois vous appeler !
-Ne m’appelez pas, ou bien appelez moi Monsieur B.
-Bon, alors,je ne vous appellerai pas !
-Mauvais caractère, avec ça ! Mais jolie !
-Vous êtes insolent et si vous me fâchez, je risque de vous demander de ne plus m’importuner.
-Vous êtes bien trop curieuse pour ça !
Piquée au vif, Aurélia, sentit la colère lui monter aux joues.
-Vous ne manquez pas d’air !
-Je me trompe ?
-Bien sûr que non, mais cela ne vous donne aucun droit, et en particulier pas celui d’être grossier.
-Je vous demande pardon. La seule chose qui m’intéresse est de savoir si vous êtes contente d’être ici.
-Evidemment ! Cela ne se voit pas ? Mais j’étais venue me délasser, pour faire le point dans ma vie et vous… Vous surgissez et me dérangez à me poser tout un tas de questions sans queue ni tête. Qu’est ce que ça peut bien vous faire, si je me plais ici ou pas ?
-Ca m’intéresse, c’est tout.
-Pourquoi ? Vous ne me connaissez pas ?
-Mais si je vous connais. Enfin, il me semble que je vous connais.
-On se serait déjà vus quelque part, vous et moi ?
-Allez savoir, vous êtes peut-être cette femme belle et mystérieuse, que dans une autre vie peut être, j’ai déjà vue, et dont je me souviens ?
-Vous aimez citer les poètes, pour éviter de me répondre ?
Il sourit.
-Réciter un bout de poème n’engage à rien, et ça ne fait de mal à personne.
-Vous êtes un charmeur, vous le savez ?
-Oui, je le sais. Cela ne vous plait pas ? Avouez que si !
Ils rirent
-Je n’avouerai rien du tout !
Pendant deux heures, ils conversèrent ainsi. Un dialogue pour ne rien dire. Pour passer le temps. Pour rire. Où chacun pouvait, tour à tour, vérifier l’emprise grandissante qu’il avait sur l’autre. Et faire prendre la sauce.
Une rencontre, c’est un jeu de hasard, un jeu où l’on s’implique en faisant croire le contraire. La mer avait monté et s’était arrêté juste à leurs pieds. Il avait fallu reculer la serviette et l’étaler au raz du blockhaus qui offrait sa pierre chaude comme dossier improvisé.
Les jeunes gens s’y appuyèrent.
-Vous habitez ici, s’enhardit l’homme ?
-Oui, au pied de cette falaise. Vous voyez la maison normande, tout là-haut. Celle qui domine la plage ? C’est chez moi.
-Ah bon ? Je croyais que cette maison appartenait à la vieille Marie Durville ? La fille du médecin, une vieille fille de par ici, mais qui ne vient plus guère, depuis que son frère lui a proposé d’habiter chez lui, à Rouen !
-Oui, cette maison lui appartenait bien. Mais je viens de la racheter.
-Ah, c’est tout nouveau alors ? Vous êtes riche, dites-moi ! Vous faites quoi dans la vie ?
-Vous alors, vous ne manquez pas de toupet ! Vous êtes curieux comme il n’est pas permis, vous ne me dites rien sur vous, et voulez tout savoir de moi !
-Ne faites pas semblant d’être furieuse !
-Si !
-Vous voulez savoir quoi au juste ? Que je suis le fils d’un charpentier ? Un homme qui s’est enrichi en faisant fructifier le capital qu’il avait hérité de son épouse et qui a passé le plus clair de sa vie à arrondir des capitaux déjà conséquents, en investissant dans les plate-forme off shore ? Bref, quelqu’un qui n’a nul envie de s’ennorgueillir d’une vie aussi désastreusement plate, et totalement égocentrique ! Vous trouvez ça intéressant ?
-Je vous avoue que non ! Enfin, si ! Mais, pourquoi êtes vous si dur avec vous-même ?
-Je ne suis pas dur, je suis réaliste, et vous avez voulu que je vous dise qui j’étais. Voilà, vous pouvez être contente. N’est ce pas ? Maintenant vous savez !
Aurélia faisait la moue.
-Vous voyez, j’avais raison de me taire. Il vaut mieux que nous parlions de vous.
-Vous êtes marié ?
-Non. Mais pourquoi, toujours parler de moi. La peine n’en vaut pas la chandelle. Dites-moi plutôt pourquoi vous avez décidé d’acheter cette maison ?
-Je l’ai achetée sur un coup de tête, après que mon oncle soit décédé d’une mort aussi subite que mystérieuse, et qu’il ait fait de moi, pour une raison inconnue, son unique héritière !
-Pour un coup de chance, c’est un coup de chance !
-Vous le connaissiez, je suppose, cet homme ?
-Pas du tout. C’était le plus jeune frère de ma mère, et je ne l’ai jamais vu qu’en photo, ou à la sauvette, quand j’étais petite.
-Mais alors, pourquoi vous a t-il légué sa fortune ?
-Dieu seul le sait. L’oncle Barnabé a emporté la réponse avec lui, si toutefois, il la connaissait, ce dont je doute. Car il n’avait aucune raison objective de me choisir.
-Il vous trouvait croquignolette quand vous étiez petite, lui qui n’avait pas d’enfant. Allez savoir ? Vous l’aviez sans doute marqué ?
-Peut être ! Mais ma mère est furieuse.
-Oh, les histoires d’héritage ! Elles divisent les familles plus qu’elle ne les rapprochent. Mais vous frissonnez ? Nous devrions rentrer.
Elle le vit se lever, l’aider à ramasser ses affaires, lui tenir le bras élégamment à la manière des galants d’autrefois, et sourit intérieurement. Cela aurait dû l’ennuyer qu’il s’impose ainsi. Qu’il lui lui tienne la jambe et ne la lâche plus. S’immiscie dans sa vie, et fasse l’importun. Mais elle était curieuse, intriguée et presque charmée. C’était bizarre comme sensation. Elle le laissa faire.
Ils montèrent l’escalier escarpé et taillé moitié dans le rocher, moitié en corniche, et qui saillait parfois presque dangereusement dans le vide. Aurélia aurait presque eu le vertige, si une ballustrade en ciment, imittant des branches mal dégrossies, n’avait protégé l’ascenssion. Ils débouchèrent sur une jolie terrasse abritée du vent et qui prolongeait le salon. La porte fenêtre était ouverte à deux battants.
-Je vais nous faire un peu de thé. Vous en prendrez une tasse avec moi ?
Aurélia s’en voulut instantanément de son audace. Mais qu’est ce qui lui prenait d’aller au devant des avances de cet inconnu ? Et voilà maintenant qu’elle l’encourageait !
Il lui sourit, ravi, et ne refusa pas. Il jeta un regard sans conviction sur la pièce à la décoration désuète et au mobilier d’un autre âge.
Aurélia sentit comme une gène et eut envie de se disculper
-J’ai acheté le mobilier avec la maison. Bien sûr, tout cela nécessite une sérieuse réhabilitation. Mais je crois que je vais faire des merveilles. J’adore le style de ces meubles. Avec des couleurs appropriées, je meurs d’envie de leur rendre leur lustre d’antant et leur joie de vivre ! J’ai envie de donner un petit air marin à cette pièce.
-Vous allez vous éclater, je le sens.
-Cela a l’air de vous faire plaisir !
Aurélia apportait le thé fumant et disposait déjà les tasses sur la nappe. Elle ouvrit un petit paquet de palmiers, s’excusant de n’avoir rien de plus sophistiqué à offrir.
-Mais oui, l’idée de vous voir heureuse me plaît.
-Merci !
Cet homme qui surgissait dans sa vie, lui disait des choses gentilles, sans aucune raison pour le faire, c’était presque surréaliste, comme le tour que prenait sa vie depuis quelque temps.
Aurélia était sur un petit nuage. Elle sentait qu’elle quittait terre, mais cela n’avait plus d’importance. Il n’y avait pas d’autre explication : elle rêvait. Ils burent leur thé. Fumèrent une cigarette blonde en silence jusqu’à ce ce que le regard de son interlocuteur se pose sur le cadre qu’elle avait posé sur le buffet. Un cadre en argent, où l’oncle Barnabé prenait une pose avantageuse, dans sa tenue de golf un peu snob.
-Vous regardez cette photo ? C’est mon oncle Barnabé, celui qui m’a légué sa fortune. D’ailleurs, ne riez pas, mais je trouve que vous avez un air de famille avec lui. Si je n’étais pas sûre qu’il soit mort sans descendance, j’aurais juré que vous pouviez être son fils !
L’inconnu rit.
-Son fils ? Ah non vraiment ! Vous ne me flattez guère. Je ne voudrais pour rien au monde ressembler à cet individu !
-Il ne vous plaît pas ?
-Pas du tout ! D’ailleurs, je vous trouve un peu dure de me trouver une ressemblance avec lui ! Je n’ai ni sa bedaine, ni sa suffisance !
D’un seul coup, il s’enhardit. Il lui prit le menton avant de l’embrasser et lui demanda si elle trouvait que son oncle avait autant de charme que lui. Aurélia sourit sans répondre, ayant depuis longtemps abdiqué toute défense. Elle avait décidé de se laisser emporter par le destin où que celui-ci l’entraîne. Elle savait qu’ils allaient faire l’amour. Et que cela allait contre tous ses principes. Qu’elle ne partageait pas la morale de l’époque qui laissait à entendre que tout était licite, qu’on avait le droit de s’éclater comme on voulait, fût ce avec un inconnu ! Tout en elle protestait ou presque. Mais elle n’en laissa rien paraître. D’ailleurs, vu de l’extérieur, personne n’eût pu douter de son consentement. Avec son sorps qui s’abandonnait, ses lèvres qui s’entrouvraient comme dans une invite voluptueuse, son ventre qui se collait à lui de la manière la plus suggestive, il eut fallu à l’inconnu un savoir vivre dépassé (si tant est qu’il ait jamais existé !), pour ne pas succomber et sauter sur la bonne occasion.
Il l’entraîna dans la chambre, prit ses lèvres, dégraffa son corsage mais sans hâte, avec douceur et courtoisie. Bien sûr, ils firent l’amour longuement et tout en tendresse. Aurélia crut qu’elle était au paradis. Sentant son amant profondément ancré en elle, elle jouit comme cela ne lui était plus arrivé depuis des mois.
Peut être, des années !
Lorsqu’elle se réveilla tard dans la nuit, le ciel tout étoilé brillait au-dessus de sa tête, la porte fenêtre de sa chambre étant restée grande ouverte. Les draps autour d’elle étaient froissés. Le lit, sens dessus- dessous. Mais il n’y avait personne dans la chambre. Elle se leva et constata que la salle à manger où ils avaient pris le thé était parfaitement propre et bien rangée. La cuisine, dans le même état impeccable, ne révélait rien de leur dinette improvisée. Les tasses étaient rangées dans le placard. Le torchon propre et bien repassé pendait sur son support, comme s’il n’avait jamais servi. La boite à thé trônait sur l’étagère, là où elle l’avait mise en revenant du super marché, sans que rien laisse supposer qu’on l’avait bougée. Elle l’ouvrit et regretta qu’il s’agisse de thé en vrac. Elle ne pouvait compter s’il manquait ou non des sachets. L’appartement était deséspérément vide. Elle se mit à douter qu’elle avait fait l’amour.
Avait-elle rêvé cette journée ? Avait-elle eu l’un de ces rêves érotiques qui vous font décoller du lit ? Et la rencontre sur la plage ? Le garçon énigmatique aux cheveux blonds qui lui avait fait la conversation tout l’après midi, et l’amour toute la soirée, n’était ce qu’un tour de son imagination ?
Elle se sentait devenir folle. Elle regarda sa montre. Appela son fils au téléphone, qui bougonna parce qu’elle l’avait dérangé au milieu de son film. Et enfin, eut son ami qu’elle réveilla. A moitié endormi, il lui demanda si tout allait bien. Si elle avait signé chez le notaire comme prévu. Et si rien n’était changé au programme. Il était convenu qu’il vienne passer le week-end avec elle ! Elle le rassura, et le laissa se rendormir. N’y tenant plus, elle descendit l’escalier, dans l’espoir de retrouver près du blockaus la trace qu’ils avaient faite tous les deux dans le sable de l’après midi, mais une machine à ramasser les algues et à ratisser était passée, et l’on ne voyait plus que les raies régulières du rateau et les traces fraîches de ses pieds à elle.
Découragée, elle remonta, inspecta la plage des yeux, et le moindre recoin d’ombre, en vain. Il n’y avait pas trace du bel inconnu. Elle remonta chez elle, ouvrit la porte du perron qui était fermée à clef de l’intérieur. Fouilla les massifs d’hortensias, scruta le gravier de l’allée. Rien ! Il fallait se rendre à l’évidence : ou elle avait révé et prenait ses rêves pour la réalité ou bien, un inconnu lui avait fait une farce de bien mauvais goût ! Quoi qu’il en soit, le mystère était entier et risquait de la rendre folle un bon moment. Elle passa une mauvaise nuit, se tournant et se retournant sans cesse dans son lit désespérément vide et froid.
Au matin, n’y tenant plus, elle décida d’appeler sa mère sur son portable mais depuis un café. Pour se rassurer. Elle fouilla du regard les passants, la rue, le comptoir, pour voir si par hasard, elle ne pourrait pas reconnaître son inconnu de la nuit. Mais toujours rien !
La sonnerie retentit. Louise avait la voix claire d’une jeune fille malgré ses soixante-quinze printemps. Et l’allure distinguée. Rien à voir, se plaisait-elle toujours à dire, avec son vaurien de frère. Qui se l’était coulé douce durant toute sa vie, sans rien faire de bien de ses dix doigts, hormis séduire les jupons !
Elle claironna un bonjour retentissant et demanda à Aurélia si elle était contente de sa nouvelle maison et si le temps s’était levé. Effectivement, un petit rayon de soleil tentait une percée entre deux nuages et augurait bien de la journée.
-A propos, demanda Aurélia, d’un ton, qu’elle espérait détaché. Pourrais-tu me dire qu’elle avait été la source de la fortune de l’oncle Barnabé ?
Louise partit d’un rire cristallin : oh, le vaurien, raconta-t-elle ! Il avait épousé une riche héritière, orpheline de ses parents, beaucoup plus jeune que lui, et qui était morte en couche à la naissance de leur premier bébé. Après cela, il n’avait plus rien fait d’autre que de vivre de ses rentes, chanceux en affaire, flairant toujours le bon coup. Un autre de ses talents avait fait de lui un séducteur invétéré. Bref, une vie de baton de chaise ! Louise avait peu d’estime pour Barnabé, et si leur père était encore de ce monde,( un honnête charpentier !), il serait bien d’accord avec elle. Son fils avait été de la mauvaise graine. Qu’il repose en paix ! Et puisqu’il t’a choisie, ajouta-t-elle, toi sa nièce, comme seule héritière, essaie de faire bon usage de son argent, ma fille ! Tu vas retaper la maison et la louer ensuite à une agence ? Bonne idée ! Et puis, on pourra y venir en dehors des périodes de vacances avec toute la famille. Ce sera notre consolation d’avoir été ainsi évincés. Aurélia approuva. Elle raccrocha, plus perplexe que jamais. Elle reprit sa voiture et la direction de Bénerville. Et retrouva la maison, sa maison désormais, toujours à sa place et les clefs dans ses mains. Le blockhaus au pied de la falaise n’avait pas bougé non plus.
Elle se dit que le mieux qu’elle avait à faire était de chercher une entreprise. Pour tout changer, tout rénover et chasser les miasmes du passé !
L’intérieur serait super moderne, se jura t-elle. Et elle n’y remettrait les pieds que dûment accompagnée !
Ce fumier de Barmabé ! S’il osait remontrer le bout de son nez, fût ce à l’état de fantôme, aurait à qui parler ! En attendant, elle se promit d’oublier a jamais cette histoire ridicule.
FIN