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VIP-Blog de happy-halloween
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  • Créé le : 08/10/2007 00:27
    Modifié : 14/12/2023 03:49

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    L'enterrement de l'oncle

    04/07/2008 23:14

    L'enterrement de l'oncle


    L'enterrement de l'oncle

    Marie Creac'headic, jeune fille de quinze à seize ans, était servante à la ferme de Kervézenn, en Briec. Non loin de Kervézenn, s'éteignait doucement, dans une chaumière isolée, un vieillard aveugle qui était l'oncle de Marie, à la mode de Bretagne, et à qui elle allait quelquefois faire visite.

    Un matin, elle s'en revenait de Quimper, où elle avait coutume d'aller chaque jour porter du lait, avec une petite voiture à bras. On était en hiver et il faisait à peine jour.

    Marie se trouva tout à coup devant un char à bancs, dont un paysan, qu'elle reconnut, conduisait le cheval par la bride. Elle n'eut que le temps de se garer, avec sa voiture, dans la douve.

    Le char à bancs passa : elle vit qu'il contenait un cercueil. Derrière, venait le porteur de croix, puis un prêtre, le recteur de Briec, et enfin le cortège funèbre. Marie ne fut pas médiocrement surprise de voir que le deuil était mené par les plus proches parents de son oncle aveugle.

    - Allons, se dit-elle, il paraît que mon oncle est mort.

    Elle rentra à Kervézenn, tout attristée, un peu dépitée aussi qu'on ne lui eût pas fait part de la mort du pauvre vieux, qu'elle aimait beaucoup.

    La maîtresse de maison, remarquant qu'elle avait l'air tout drôle, lui demanda :

    - Qu'est-ce donc qui vous est arrivé, Marie ?

    - Il m'est arrivé que je viens de croiser le convoi funèbre de mon oncle, et qu'on n'a pas daigné me faire part de sa mort.

    La maîtresse de maison se mit à rire.

    - Vous avez rêvé, ma fille; car, certes, vous n'étiez pas bien réveillée quand vous avez vu ce que vous dites. Si votre oncle était mort, on l'aurait su dans le quartier.

    - Eh bien, répondit Marie, j'en aurai le coeur net !

    Et elle alla, d'une course, jusqu'à la chaumière.

    Elle y trouva le vieil aveugle, couché, comme à son ordinaire, dans le lit clos, auprès de l'âtre. Seulement il avait la face toute jaune et ne respirait presque plus.

    Une de ses filles qui était là, avec d'autres parents, invita Marie à se joindre à eux pour la veillée, cette nuit-là, en ajoutant que ce serait sans doute la dernière.

    Elle ne manqua pas de s'y rendre.

    Comme elle était un peu fatiguée de sa journée, elle s'assoupit, au bout d'une heure ou deux. Soudain, il lui sembla que quelque chose de lourd venait de heurter contre la porte. Elle se réveilla en sursaut, et s'aperçut que les autres veilleurs, eux aussi, dormaient d'un sommeil profond.

    La porte cependant s'était ouverte.

    Marie vit entrer un cercueil qui fut déposé par des mains invisibles sur le marche-pied coffre qui se trouve au bas du lit.

    Elle eut grand-peur et se tint bien coite à la place où elle était assise. Elle serra même très fort ses paupières sur ses yeux.

    Mais, quand elle ne vit plus, elle entendit..., elle entendit les mains mystérieuses fourrager dans le cercueil parmi les rubans de bois ou ripes qu'on étend sous les cadavres et le chanvre peigné qu'on tord en guise d'oreiller sous leur nuque.

    En ce moment, l'oncle fit un long soupir.

    A l'aube, on constata qu'il était déjà froid.

    Marie Creac'hcadic s'en fut à Kervézenn, le coeur chaviré, prier qu'on voulût bien lui permettre d'assister à l'enterrement. Mais la maîtresse de maison lui fit observer que les pratiques de la ville attendaient leur lait, qu'elle n'était d'ailleurs que la parente éloignée du mort et qu'elle s'était suffisamment acquittée envers lui en le veillant toute une nuitée.

    La pauvre fille dut se résigner. Elle s'attela à la petite voiture et se dirigea vers Quimper. Elle rencontra l'enterrement le vrai, cette fois au même tournant du chemin où elle avait déjà croisé l'autre.

    Craignant qu'on ne lui fît reproche pour n'être pas venue se mêler au cortège, elle se jeta dans un champ dont la barrière était ouverte.

    Elle attendit là, en regardant à travers les ajoncs du talus, que le convoi se fût éloigné. Elle s'apprêtait à quitter sa cachette, quand elle fut clouée sur place de stupeur.

    Voici que, par la route, s'avançait, d'un pas hésitant, un vieux à la figure jaune comme cire, et c'était son oncle, son oncle l'aveugle, qui suivait à distance son propre enterrement.

    Pour le coup, Marie Creac'hcadic s'évanouit d'épouvante. Des gens qui passaient par le champ la trouvèrent une heure plus tard, qui gisait dans le fossé. Ils la rapportèrent à Kervézenn, à demi morte.

    FIN







    Le secret du vieux secrétaire !

    05/07/2008 06:03

    Le secret du vieux secrétaire !


    Le vieux secrétaire

    Minna vient d’hériter d’un vieux secrétaire. Du genre de ceux qu’on ne trouve que chez les antiquaires ! Le meuble était dans la famille depuis si longtemps que personne ne se souvenait depuis quand. Elle en avait hérité, avec toute la maison d’ailleurs, à la mort de sa tante, la seule famille qui lui restait. Cela lui avait fait une sensation étrange, au début, d’emménager dans la vieille maison familiale, où sa mère avait vécu enfant. Comme si elle prenait possession de la vie d’une autre. Non pas que sa tante eût été pour elle une inconnue.

    Mais Cécile avait toujours vécu seule, célibataire endurcie, et plutôt solitaire. Avec pour seul compagnon, un chat, qui n’avait pas survécu au décès de sa maîtresse.

    Aujourd’hui, Minna se promène souvent dans la maison ; elle sait qu’il lui faudra du temps pour l’apprivoiser. L’amadouer d’abord, comme on fait d’un animal sauvage qu’on désire apprivoiser. Lentement, en prenant son temps, sans l’effaroucher. N’entrer dans une pièce qu’à petit pas, presque en demandant l’autorisation, pour ne pas déranger les souvenirs. Le secrétaire de tante Cécile, l’intrigua tout de suite.

    Comme si le meuble voulait lui dire quelque chose. Au début, elle ne s’approcha de lui qu’avec circonspection. Ce n’est pas qu’il lui faisait peur. Non. Mais il avait quelque chose d’inquiétant quand même, quelque chose qui la fascinait, l’attirait. Inexplicablement. Un jour, Minna eut une idée : peut être qu’elle pourrait le faire expertiser ! Pour en savoir plus sur lui. Une façon de se l’approprier, en somme.

    Elle décida de le prendre en photos, sous toutes les coutures, et envoya les documents à une émission de télévision qui rend ce service aux téléspectateurs. Peut être, en saura-t-elle un peu plus long sur son histoire, se dit-elle. Et la réponse lui parvint. “Le meuble date de l’époque Louis XV ! Il vaut une petite fortune. C’est une pièce rare, exceptionnelle, même.” Lut -elle, non sans surprise !

    Dès lors, Minna regarda le vieux secrétaire d’un nouvel oeil.

    - Pense donc, confia-t-elle à son ami Olivier, il en va vu défiler des vies, des amours, des passions et des histoires. Peut être, même, contient-il un secret ?

    Minna l’espérait de tout son coeur, presque avec ferveur. Elle commença à l’examiner de plus près. Caressant la patine du vieux bois, laissant promener ses doigts sur le délicat travail d’ornement. Des petits tiroirs, des casiers… c’est fou ce que ces gens d’antan pouvaient être minutieux et inventifs. Il y avait des endroits pour tout ranger : plumes, papiers, agrafes, enveloppes, cartes, gomme, taille-crayon, buvard etc… et sûrement, se dit Minna, un tiroir secret pour dissimuler les billets doux ! Un soir, Olivier se moqua d’elle gentiment :

    - Ma chérie, ta passion pour ce meuble tourne à l’obsession, on devrait le brûler !

    Minna haussa les épaules. Et pourtant, elle devait le reconnaître, son fiancé avait raison : le secrétaire agissait sur elle comme un aimant. Chaque matin, il faut qu’elle aille le voir, comme s’il l’appelait ! Il faut qu’elle aille lui parler ! Alors, elle l’interroge, tout en laissant longuement courir ses doigts sur tous ses reliefs et dans tous ses interstices. Elle en ressent comme une volupté. Elle se dit qu’un jour, il lui livrera son secret. Elle en est persuadée. Elle ouvre chaque tiroir, tire sur toutes les targettes qui laissent apparaître un casier, un rangement…

    Un jour, à sa grande surprise, un porte-plume d’époque en bois d’ébène apparut soudain, comme par magie. Elle crut défaillir d’étonnement et de joie. Mais il ne contenait rien. Même pas une plume.

    Ce jour là, elle referma chaque petite porte plus délicatement encore que d’habitude, remit les tiroirs en place et s’en alla, certaine qu’elle se rapprochait du but. Elle referma doucement la porte de la chambre, non sans jeter un dernier regard dans la pièce : celle-ci, décidément, avait quelque chose de bizarre. Mais quoi ? Des souvenirs peut être, qu’elle gardait gravés dans sa mémoire de pierre ?

    Etait-ce le parquet ciré, qui brillait comme si on venait de le lustrer, les tentures de lourd velours cramoisi, les sombres boiseries des murs, ou le lit à baldaquin, que la tante Cécile, sûrement une romantique refoulée, avait orné de rideaux à fleurs ? Minna, de retour dans sa cuisine et attablée devant un café au lait, n’en savait trop rien. De toute façon, elle avait bien du mal à s’y faire à cette maison. Ce n’était décidément pas si facile de se couler dans la vie d’une autre. De prendre le relais, en somme. D’enchaîner sur sa vie, comme on continuerait un tricot abandonné.

    Puis, les mois passèrent. Et Minna s’est mariée.

    Le jeune couple s’est tout naturellement installé dans la maison. Olivier a suggéré que peut être, on pourrait refaire les peintures. Rajeunir les papiers peints.

    -Cela donnerait un petit coup de jeune, et contribuerait sûrement à chasser les esprits qui peut-être, se complaisent, la nuit, à hanter les vieux murs, s’est-il un jour écrié comme pour plaisanter !

    Aussitôt dit, aussitôt fait !

    Minna et Olivier y ont consacré tous leurs week-ends. Et la maison sembla effectivement renaître. Redémarrer un nouveau cycle. Dans la chambre de Cécile, devenue la chambre du couple, Minna a tout transformé. Mis des voiles transparents rose vif au baldaquin, donné les lourdes tentures à sa belle-mère, et installé à la place, de légers rideaux couleur pêche, joliment enfilés sur la tringle avec des nouettes. Puis elle a repeint les boiseries en couleurs pastel, mis de la moquette fraise écrasée sur le vieux parquet et dispersé des coussins orange sur le lit. Le jour de l’inauguration, elle a ouvert en grand les portes-fenêtres et laissé respirer la pièce refaite à neuf avec des couleurs chaleureuses.

    - Il faut donner à cette maison un nouveau souffle de vie , a t-elle déclaré à Olivier qui s’étonnait, en plein mois de février glacial, de la voir aérer la chambre, comme si l’on était au printemps ! Admire le secrétaire de Cécile, fit la jeune mariée, ne fait-il pas la meilleure impression sur ce mur abricot ?
    Olivier, qui s’en foutait, hocha la tête pour faire plaisir à sa femme.

    - Allons, viens, faisons-nous un café, lança -t-il !

    Minna quitta la pièce comme à regret. Referma les fenêtres, et jeta un dernier regard à son meuble chéri. Elle se dit que lundi, après le départ d’Olivier pour le bureau, elle saurait bien s’approcher doucement de lui, comme d’un vieil ami. Le prendre par la douceur… Câliner sa patine de vieux bois avec suffisamment de conviction pour qu’il se livre, enfin, à elle. Elle n’ajouta pas un mot, sentant que son idée fixe commençait à fatiguer la patience de son mari.

    Le lundi tant attendu arriva. Minna prit un bon petit déjeuner et s’interdit de jeter le moindre regard du côté du meuble avant d’avoir fait sa toilette, et expédié le ménage. Puis, elle s’attela à sa tâche, bien décidée, cette fois, à ne pas quitter la pièce sans avoir découvert le secret caché qu’il lui tenait tant à coeur de découvrir. Minutieusement, elle commença par vider sur l’écritoire de cuir tous les tiroirs. Elle ouvrit l’un après l’autre tous les casiers, promena le bout de ses doigts très doucement, en appuyant de temps en temps sur tous les reliefs, toutes les aspérités, sur tous les fonds, jusqu’à ce qu’un grincement lent et un peu aigu lui arrache un cri de victoire.

    Une petite porte glissa. Un couvercle disparut, laissant voir un casier dissimulé dans le bâti de l’écritoire, tout à fait en dessous. Il faut se pencher pour voir ce qu’il y a dedans, et glisser la main à tâtons, pensa Minna. Elle avança prudemment le bout de ses doigts et sentit comme un rouleau de papier maintenu par un lien très doux au toucher.. Elle le fit rouler doucement pour le saisir et le sortit de sa cachette. Un ruban de soie bleue le maintenait et le papier, certes un peu jauni, apparut sous ses yeux ébahis, exactement dans l’état où on l’avait laissé.

    Extraordinaire ! Quelle découverte sensationnelle ! Minna resta fascinée devant l’objet. C’était à peine si elle osait le toucher. D’abord, appeler Olivier à son bureau, pensa-t-elle. Lui dire l’extraordinaire trouvaille !

    Et puis, attendre l’heure du déjeuner. Lui montrer le rouleau en grande cérémonie. Mais, en attendant, que faire ? Minna prit délicatement le papier entre ses doigts, comme s’il allait se réduire en poussière sous la pression et le reposa comme une relique, sur le cuir de l’écritoire. Tiens, une idée ! Elle pourrait le photographier, en attendant de le montrer à Olivier. Elle fit le cliché et reposa l’appareil.

    Puis, se mit à attendre, fébrile ; incapable de rien faire d’autre, le coeur battant. Enfin soulagée, elle entendit la Golf de son mari freiner dans la cour. C’était bien lui. Le pauvre n’eut pas le temps de pousser la porte ni de reprendre son souffle, que déjà, sa femme l’entraînait vers leur chambre et sa découverte fatidique. Le rouleau l’attendait effectivement, comme une pièce de musée exhumée d’une tombe, ou un objet d’archéologie.

    Olivier s’approcha de l’objet et le regarda presque avec précaution, comme si c’était sacrilège, osant à peine le toucher.

    - Tu peux le prendre dans tes mains, tu sais, il ne mord pas, plaisanta Minna, pour alléger l’atmosphère quelque peu tendue. Olivier avança son index et caressa du doigt le mince ruban de soie, avant de demander où sa femme l’avait trouvé. Elle lui montra le délicat mécanisme et Olivier put vérifier qu’il fonctionnait encore parfaitement. Comme si on l’avait huilé d’hier. Les yeux étonnés, les oreilles en alerte, il entendit le clic-clac bref, suivi d’un grincement léger, et vit le casier s’ouvrir et se refermer en un clin d’oeil.

    - Etonnant, non ? Tiens, je vais le rouvrir.
    Et Minna d’actionner à son tour le mécanisme secret. -C’était astucieux, tu ne trouves pas ?

    Olivier, hocha la tête. Mais Minna n’avait d’yeux que pour sa trouvaille.
    -Tu crois qu’on pourrait l’ouvrir ?
    Olivier regarda sa femme :
    -Pour quoi faire ?
    -Mais pour le lire, évidemment !
    -Je ne sais pas. Cela me dérange un peu. N’est ce pas indiscret, même si ta tante est morte ?
    -Mais j’en meurs d’envie, et toi aussi, je parie ! Je le vois dans tes yeux !

    Minna se moqua gentiment de son mari.
    - Que veux-tu que je te dise, je n’aime pas ça, ça ne s’explique pas. A ta place, je remettrais ce rouleau là où tu l’as trouvé et je vendrais le meuble avec son secret. Cela me paraît bien plus raisonnable !

    Mais Minna était trop curieuse pour tenir compte de l’avertissement de son mari.

    - Allons donc, que veux-tu qu’il nous arrive ! Je ne crains pas le fantôme de tante Cécile ! Elle était plutôt du genre sauvage de son vivant, ce n’est pas pour venir nous tirer maintenant par les pieds, la nuit, parce que nous aurons eu le toupet de lire ce petit billet ! Il renferme sûrement la confession d’une de ses amourettes de jeunesse. Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’elle était du genre “fleur bleue”, la vieille fille ! Ce ne serait amusant, tu ne trouves pas ?

    Olivier resta dubitatif et sur la réserve.

    - Tu vas me photographier pendant que je l’ouvre. Il faut immortaliser ce moment historique.
    Minna s’assit sur la courtepointe du lit et dénoua d’un geste décidé le lien de satin.

    - Attends, tu ne croix pas que c’est…comment dire , sacrilège, d’entrer comme ça dans la vie de ta tante, sans y avoir été invitée ? De lui voler ses secrets !
    Minna haussa les épaules.

    - Mais non ! Elle n’est plus là de toute façon, et puis, qui te dit que ces papiers lui appartenaient. Tu te fais de ces soucis !

    Le rouleau défait s’ouvrit comme une rose au matin, et laissa échapper plusieurs feuillets qui allèrent doucement virevolter avant de tomber comme d’humbles pétales sur la moquette.

    Minna les ramassa avec délicatesse et les étala sur le couvre-lit. Avant de découvrir une écriture serrée, penchée et violette. Une écriture de femme, à tous les coups, se dit elle. Et elle commença à lire à haute voix, pour que son mari ne perde pas un mot du billet :

    “Moi, Cécile Bonvallon, saine de corps et d’esprit, confie ce jour, 15 Décembre 1965, le bébé que je viens de mettre au monde à ma soeur Amanda, pour qu’elle l’élève, elle et son mari Philippe, comme leur propre enfant. J’ai toutefois demandé à Amanda de conserver à ma petite fille le nom que je lui ai choisi : “Minna !”

    La voix de la jeune femme s’éteignit soudain comme une flamme de bougie qu’on souffle. Elle se brisa sur ce dernier mot. Curieuse et excitée comme une gamine, elle avait lu jusque là, d’un trait, avide d’en savoir plus, jusqu’au moment où ses yeux avaient buté sur ce nom : le sien ! La tête, un moment, lui tourna. Elle se dit que ce cela n’avait aucun sens. Amanda, sa mère, était malheureusement décédée il y a quelques années, dans un terrible accident de voiture. Olivier se précipita.

    - Cela ne va pas, ma chérie ?
    - Je ne sais pas, balbutia la jeune femme en tendant le feuillet vers son mari : lis ce nom : “Minna” ! Mon nom n’est pas si courant, et cette date de naissance, regarde, c’est la mienne ! Mon Dieu, Olivier, mais qu’est ce que cela veut dire ? Qu’est ce qui m’arrive ?

    Olivier prit le mince feuillet des mains de sa femme et le replaça sur le secrétaire.

    - Je ne sais pas.

    Cela n’a sans doute rien à voir avec toi. Ce sont là de vieilles histoires, des choses qui appartiennent à une autre vie que la nôtre et ne nous regardent pas. Je t’avais dit de ne pas toucher à ces vieux machins, c’est malsain ! Tu te rappelles la tombe de Touthankamon, elle a porté malheur à tous ceux qui s’en approchèrent. Superstition ou pas, ça ne change rien pour les morts ! Remets ce rouleau en place et vendons ce meuble. Cela ne porte bonheur à personne de vouloir percer à jour les secrets des autres. C’est de la curiosité perverse, crois moi. Avant d’en savoir plus, et risquer, qui sait- peut être ta vie, et notre bonheur, oublions tout ça, cette lettre et ses secrets. Tu veux bien ?

    Minna se laissa faire et Oliver l’entraîna vers la cuisine.

    - Je mangerais bien un morceau, pas toi ?

    Minna ouvrit le frigo et en sortit deux belles côtes d’agneau et des haricots verts, qu’elle mit aussitôt à faire réchauffer dans du beurre. Les côtes grésillèrent bientôt dans leur jus et Olivier, qui venait de faire un sort au pâté, se sentait déjà tout ragaillardi :

    - Tu vas me faire le plaisir d’oublier toute cette affaire, chérie, et de ne plus céder à ta curiosité vraiment malsaine ! Nous allons remettre ce rouleau là où tu l’as trouvé. Et je ne veux plus entendre parler de cette histoire. C’est bien compris ?

    Minna n’avait pas faim et avait à peine touché à sa viande.
    - Mais enfin, Olivier, imagine, si c’est moi ce bébé, dont parle la lettre, réfléchis, ce serait épouvantable ! Tu penses à ce que cela voudrait dire ? Que mes parents ne seraient plus mes parents et qui serais-je alors ? La fille de cette vieille couenne toute racornie, qui ne m’a pas adressé la parole plus de deux fois dans sa vie ? Et maman, et papa, ne seraient-ils plus mes parents ? Mais qui seraient-ils alors ?

    Minna éclata en sanglots. Olivier la prit dans ses bras et tenta de la consoler :

    - Allons, que vas-tu chercher là ! Tout ça, c’est des bêtises, ta tante a vécu toute sa vie presque en recluse. Excepté le temps qu’elle a passé dans le secrétariat des bonnes-soeurs à faire leur comptabilité, elle n’a quasiment pas bougé de son fauteuil et de son potager ! C’était sûrement une sauvage, une misanthrope ! Comment aurait -elle eu le temps de faire un enfant, et avec qui, en plus ? Oublie tout ça et le plus vite sera le mieux. Ne suis-je pas là pour t’aimer désormais, et m’occuper de toi ? Qu’as-tu besoin d’aller déterrer, encore une fois, des histoires de bonnes femmes, qui ne nous concernent en rien ? Sois raisonnable !

    Olivier essuya une larme qui coulait sur la joue de sa femme et l’embrassa. Il regarda sa montre et se leva comme si une guêpe l’avait brusquement piqué :

    - Mon Dieu, j’ai rendez-vous à l’étude à deux heures pile. Pour ouvrir le testament “Desroches” ! Je n’ai pas une minute à perdre. Je t’appellerai dans l’après midi.
    Olivier déposa sur la joue encore mouillée de son épouse un bref baiser et la força à sourire.

    - Pas de bêtise, hein ? C’est lundi, tu vas à l’atelier de poterie, tout à l’heure ?

    Minna hocha la tête. Olivier partit rassuré. Il était premier clerc dans l’étude de son père et comptait bien, dans l’année, reprendre l’étude à son nom. Il mettait beaucoup de coeur à l’ouvrage, avec toute l’impétuosité de sa jeunesse. Et Minna entendit les pneus de sa Golf égratigner l’allée, comme s’il en voulait personnellement à chaque caillou. Elle débarrassa la table et se fit un café. Décidément, elle n’avait pas la moindre envie d’aller à la poterie, cet après midi ! Les enfants de l’institut pédagogique, dont elle s’occupait bénévolement quelques après midis par semaine se débrouilleraient bien tout seuls, pour une fois, et de plus, ils avaient Ashley, une jeune américaine qui faisait un stage à la ville. Non, décidément, elle voulait savoir. Elle n’en dormirait plus si elle devait remettre le rouleau à sa place, comme le lui demandait son mari. C’était impossible. Elle brûlait même d’impatience de découvrir ce que cachait la suite de l’histoire.

    Elle rangea la cuisine. Fit scrupuleusement la vaisselle et essuya la table. Pour revenir à la chambre de Cécile. Elle y retrouva le rouleau, exactement à la place où l’avait posé Olivier. Et reprit sa lecture. Même si ce qu’elle allait apprendre devait bouleverser sa vie, il fallait qu’elle sache ! Elle prit le morceau de papier dans sa main et, le coeur battant, poursuivit sa lecture interrompue :

    “Maman n’eut pas trop de mal à convaincre Amanda qui était mariée depuis cinq ans, et désespérée de ne pas avoir d’enfant de son mari. “Il suffira, lui avait-elle dit, que tu fasses semblant d’être enceinte, pendant quelques mois. Te promener avec un coussin sur le ventre ne sera pas trop dur, et tu n’auras qu’à creuser les reins de façon caractéristique, pour accréditer l’authenticité de cette grossesse si désirée. Pendant ce temps, nous cacherons la petite chez toi. Ni vu ni connu ! Et personne ne saura jamais. Notre réputation est en jeu.”

    Et ainsi fut fait ! Je passais la fin du printemps et l’été au fond du jardin d’Amanda, à apprendre l’anglais, puisqu’on avait dit à tout le monde que j’étais partie comme fille au pair à Bournemouth, en Angleterre. Mon ventre prenait doucement de la rondeur et me faisait horreur. J’avais quatorze ans ! Le pire est que je passais mon temps à revivre avec angoisse et terreur les moments affreux qui m’avaient mis dans cet état. D’abord, j’étais revenue à la maison en pleurs, toute sale et ma robe déchirée. Mais, heureusement, il n’y avait personne. Je me suis passé la figure à l’eau et me suis lavée au gant de toilette en frottant de toute mes forces. Et puis, j’ai recousu ma robe. J’ai dit à maman que je m’étais accrochée à une épine dans le chemin. Et elle m’a disputée. J’espérais que personne ne découvrirait jamais rien. L’horrible bonhomme ! Il m’avait dit que si jamais je l’ouvrais ou le dénonçais, il s’en prendrait à mon petit frère qu’une méningite avait rendu simplet. Je tremblais qu’il lui arrive malheur !

    Cet homme était capable de tout, il me l’avait prouvé. Cela faisait des jours qu’il m’épiait, à mon insu. J’avais bien aperçu une grosse voiture noire qui n’avait rien à faire dans les parages. Cela m’avait intrigué, et même, je l’avoue, fait un peu peur, mais comme rien ne se passait, je l’avais oubliée. Et puis, un jour d’avril, alors que je m’amusais à cueillir des jonquilles en revenant du cours complémentaire où j’apprenais la sténodactylo, la voiture a débouché à l’endroit où le chemin donne sur la route. L’homme, rondouillard, d’un âge incertain et plutôt chauve, se pencha pour ouvrir la fenêtre de la portière et me parler. Il me dit qu’il était docteur, que ma mère venait d’avoir un malaise et qu’il venait me chercher. Inquiète, je ne mis pas un instant ses paroles en doute, et montai dans l’auto. Il se pencha vers moi avec un sourire paternel pour fermer la porte à clef, en m’expliquant que c’était plus prudent, et accéléra brusquement. Il prit à droite le chemin du bois.

    “C’est un raccourci”, me dit-il. Puis, il rangea la voiture sur le côté, dans une sorte de petite clairière couverte de feuilles mortes. Là, je commençais à paniquer. Je lui demandais pourquoi il s’arrêtait là et il me dit de ne pas avoir peur. Qu’il ne me voulait aucun mal. Je voyais bien qu’il mentait. Je voulus ouvrir la portière mais elle était fermée. Son bras barrait ma poitrine et sa bouche m’empêchait presque de respirer. Son haleine m’étouffait et me répugnait. Je voulus crier mais il me dit que cela ne servirait à rien, car personne ne pourrait m’entendre. Que je ferais mieux d’être gentille et de me laisser faire.
    Je ne peux raconter la suite. C’est un souvenir trop humiliant, trop douloureux, trop horrible pour que je puisse, même des années après, même aujourd’hui où j’ai dépassé la quarantaine, mettre des mots dessus. Cela bloque, là dans ma gorge. La honte sans doute ! Le sentiment inexprimable d’avoir été souillée à vie, humiliée, en un mot comme en cent, violée ! Son forfait accompli, l’homme se releva poussif, peinant à reprendre son souffle. Il me demanda si je le connaissais et je répondis que non.

    C’est alors qu’il me menaça des pires représailles si jamais il me venait à l’idée, moi une sale petite traînée, de le dénoncer à mes parents ou à la police. Il me dit que je m’en tirais à moindre mal puisqu’il consentait à me laisser en vie, et me poussa dehors. Il me jeta mon sac de classe à la figure, et fit demi tour. Je vis la voiture s’éloigner et disparaître à la sortie du bois. Je me mis à sangloter en m’appuyant sur le tronc d’un arbre et m’avisai que ma robe était toute déchirée. Je fermai mon duffelcoat pour que personne ne le remarque et courus vers la maison. Les jours suivants, maman ne remarqua rien. Car je m’efforçais de ne rien laisser voir. Mais je ne tardais pas à m’apercevoir qu’il se passait quelque chose de bizarre. Je n’étais plus “indisposée” une semaine par mois, comme on disait à l’époque, et même si l’éducation que j’avais reçue était des plus sommaires sur ce chapitre, je n’étais pas sans savoir ce que cela signifiait.

    L’horreur me submergea et la terreur d’avoir à confesser l’inavouable m’envahit. Je me mis à surveiller ma taille dans l’espoir imbécile d’arriver à dissimuler le plus longtemps possible ce que tout le monde allait un jour ou l’autre finir par apercevoir. Je ne quittais plus ma blouse qui avait l’avantage d’être assez large sur le devant, et je réussis à dissimuler mon état jusqu’au mois de juin, où ma mère découvrit évidemment le pot aux roses.

    Remise de son état de choc, de sa surprise et de sa colère, elle me posa bien sûr l’inévitable question : qui était le père ? Mais le souvenir des menaces de l’homme me retint de parler. La pauvre n’apprit la nouvelle que bien plus tard, lorsque ma fille fût née et déjà grandette.

    Un jour, elle me pressa de répondre à ses questions. Ne comprenant pas comment, moi, une fille aussi sage, qui ne fréquentait jamais de garçon, n’allait pas au bal, et ne sortait pour ainsi dire jamais, une telle chose avait pu m’arriver. Je lui racontais tout en pleurant. Elle me convainquit alors de décrire le type qui m’avait fait ça, et je vis le visage de ma mère virer au gris. Je compris qu’elle l’avait immédiatement identifié. La marque de sa voiture, qui ne passait pas inaperçue, la coupe impeccable de son pardessus, la description de son physique court sur patte, celle de son visage glabre et rond, de son crâne chauve, ne lui laissa aucun doute.

    Elle resta sans voix une bonne minute et ne reprit la parole que pour me faire comprendre d’un ton solennel, que je ne devrais jamais, “au grand jamais ! m’as tu comprise ?” raconter cette histoire à qui que ce soit.

    Nous étions des gens sans histoire, et il n’était pas question que cela ne le demeurât point. Mais à toi, ma fille, si un jour, j’ai le courage de te pardonner les conditions affreuses dans lesquelles tu es venue au monde, j’ai le devoir de te dire, si cette lettre arrive entre tes mains, qui est ton père. Ou plus exactement ton géniteur, tant le terme de “père” paraît ici déplacé”. A ce moment de sa lecture, la gorge sèche, le coeur au bord des lèvres, Minna crut qu’elle allait vomir. Mais elle réussit à se maîtriser. Il fallait maintenant qu’elle aille jusqu’au bout de l’horreur. Au bout de la vérité, aussi insupportable soit elle !

    Et elle reprit sa lecture :
    “L’homme à la déesse noire, ce pédophile infâme qui a gâché ma vie, alors que je n’avais pas encore treize ans révolus, en me dépossédant de ma jeunesse et de mon corps de femme, il faut que tu le saches, ma fille, cet homme immonde n’est autre que le notaire de notre ville,“ Jacques Delarbre” ! Lequel coule depuis son forfait des jours sereins dans sa belle propriété, et finit ses nuits au Sénat ! Oui, ma Belle, un notable irréprochable, un père de famille au dessus de tout soupçon, marié à une femme modèle. Une famille respectable ! Un homme à la réputation sans tâche, et qui arrangue les foules les veilles d’élection, avec la voix onctueuse d’un prélat !”

    Minna cette fois, défaillit pour de bon. Elle crut qu’elle allait s’évanouir. Là sous ses yeux, s’étalait la vérité la plus monstrueuse, une vérité insoutenable, pire que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle la prit en pleine poitrine comme un coup de poing et perdit presque conscience. Elle était la fille de son beau-père !

    D’abord, elle ne comprit pas jusqu’où allait l’horreur. Mais celle-ci lui sauta au visage toute griffe dehors, comme une chatte en chaleur : elle était la soeur de son mari ! Là, elle s’évanouit pour de bon et tomba sur le fauteuil, sans connaissance. Depuis un quart d’heure, Olivier tentait de joindre sa femme au téléphone. En vain. Cela devait faire un bon moment qu’elle devait être revenue de l’atelier. Elle n’y restait jamais plus d’une heure et demi, et il devait être cinq heures passées. N’y tenant plus, il sauta dans sa voiture et fonça jusque chez lui.

    Il trouva Minna dans la chambre, évanouie. Mais en se dirigeant vers la salle de bain, pour y quérir un linge de toilette mouillé, il marcha sur le dernier feuillet que son épouse avait lâché et le ramassa. Ses yeux tombèrent sur la ligne fatidique, celle qu’il n’aurait jamais dû découvrir. Et lut … Il reprit la lettre à son début, la dévora et pâlit. Il avait du mal à respirer, à déglutir.

    Voilà pourquoi la pauvre Minna gisait là sur le fauteuil, comme une fleur coupée ! Il alla dans la salle de bain chercher de l’alcool de menthe et la ranima. Quelques jours plus tard, un effrayant fait divers mit la presse locale sens dessus-dessous. Un homme, un jeune marié, avait tiré à bout portant, avec un fusil de chasse de calibre 12 sur son père, un notable bien connu de la région, avant de retourner l’arme contre lui. Il avait pris soin toutefois, dans l’après midi, de régler son compte à sa jeune épouse, en lui tirant dans le dos, au travers de son fauteuil en osier. La jeune femme, ont pu constater les policiers, est morte sur le coup. Les causes de ce drame familial, conclut l’article, ne sont, à ce jour, pas encore élucidées.

    FIN






    Histoire : La Désirade

    07/07/2008 03:14

    Histoire : La Désirade


    La Désirade

    Un jour gris, à Paris….

    L’appartement était vide. Bien rangé. Tout à sa place. Un peu triste d’être si solitaire. Les rideaux de satin rose thé, à demi tirés. Le jour était hivernal, le ciel parisien d’un gris uniforme. En bas, le quartier avait l’animation d’un lundi. Seule, la croix verte du pharmacien, au coin de la rue, clignotait. Sa lumière froide se reflétait sur le trottoir. Il venait de pleuvoir.

    L’homme laissa retomber le rideau et se retourna pour inspecter les lieux. Marie lui avait laissé les clefs. Sans qu’il sache au juste pourquoi : ils ne venaient jamais chez elle pour faire l’amour. Ni d’ailleurs, pour quoi que ce soit. Pas même, pour boire un verre. Et elle n’avait ni poisson rouge, ni plante verte à arroser, ni chat à nourrir en son absence. De toute façon, la femme de ménage passait une fois par semaine, pour jeter un coup d’oeil et épousseter un voile de poussière imaginaire.

    Son regard fit le tour de la pièce. On eût dit une chambre d’hôtel. Le couvre-lit mauve était bien tiré. L’oreiller unique, sagement posé dessus, trônait au beau milieu du lit, bien gonflé. Pas une peluche, pas l’ombre d’une poupée, ni même une fleur. Rien pour accrocher le regard, rien pour l’émouvoir, excepté deux petits détails troublants : la femme de ménage avait laissé ses babouches sur la descente du lit. Et une bouteille de parfum, à demi entamée, sur la table de nuit. A part cela, rien qui soit susceptible de le rassurer. De la lui rappeler. De combler le manque qu’il avait d’elle. De lui mettre un baume au coeur.

    Il scruta une dernière fois ce lit, où il n’avait jamais été invité à se coucher et il l’imagina, nue, abandonnée, douce et chaude, lovée entre ses bras. La douleur lui transperça la poitrine. Aiguë, comme la lame d’un couteau. Elle était partie pour sa propriété de la Désirade, là bas au bout du monde, dans les Antilles françaises. Où son père, jadis, avait dirigé une exploitation de canne à sucre.

    C’est à peine si elle lui avait dit au-revoir ou à bientôt. Ni pourquoi, elle partait. Elle avait besoin de faire le point, de respirer. De se “retrouver,” avait-elle expliqué. Et elle l’avait planté là, en lui disant. “Tiens, je te laisse mes clefs. Si tu veux, tu pourras venir faire un tour chez moi, installe-toi, fais comme chez toi. Tu te sentiras moins seul !”

    Pour elle, tout était simple. Tu parles ! Seul, n’était pas le mot qui convenait. Ni même “abandonné,” c’était pis. Bien pis. C’était comme si elle l’avait dépossédé de lui même, comme si elle avait emporté sa vie avec elle, pour laisser à Paris, un pantin désarticulé. Il n’avait plus de goût à rien. S’était fait porté malade, à l’hôpital où il travaillait comme infirmier, et errait, maintenant, comme une âme en peine.

    Le vers de Lamartine, appris jadis en classe, lui trottait dans la tête : “un être vous manque et tout est dépeuplé.” C’était vrai à en sangloter. A se taper la tête contre ces murs vides. Soudain, un objet insolite dans cette pièce, arrêta sa mélancolique humeur. L’intrigua, titilla son intérêt, éveilla sa curiosité. Trop occupé jusque là, à remuer des pensées moroses, il ne l’avait pas vue. Une enveloppe rectangulaire était posée debout, légèrement inclinée, sur le secrétaire. Comme fasciné, il s’en approcha. Elle était de couleur ivoire. Assez grande. Faite d’un joli papier, du genre raffiné, et adressée à Marie d’Orban.

    Son adresse avait été rédigée à l’encre bleue. L’écriture était soignée. Il saisit l’enveloppe entre ses doigts. La retourna. Pas d’adresse au dos. Il tenta d’en percer le mystère, en la tournant vers le jour et en essayant de voir ce qu’il y avait à l’intérieur. Mais le papier était doublé, et opaque. Il la secoua. Elle n’émit aucun bruit. Il la reposa, découragé. Puis, il eut une idée : il chercha ses lunettes et déchiffra le tampon de la poste. Quimper ! L’enveloppe avait été postée la semaine dernière, et venait de Bretagne. Avait-elle de la famille là-bas ? Elle ne lui en avait jamais parlé. Une amie, peut être ? Il huma le papier. Qui sait ? Peut être, était-il parfumé ? Non, même pas.

    L’enveloppe gardait son secret. Il la reposa. Jeta un oeil à sa montre : onze heures, et pensa à son service à l’hôpital, où son absence devait se faire cruellement sentir. On était en manque de personnel. La matinée était avancée. Normalement, il aurait hélé un taxi, se serait précipité dans le métro, pour rattraper son retard. Mais il était sans force. Et tout lui était égal. Il soupira, et décida en désespoir de cause, d’aller à la cuisine se faire un café. La kitchenette était petite, mais aussi nette et propre que le reste de l’appartement. Il ouvrit un placard, trouva le café, versa l’eau. Fit une petite flaque par terre, qu’il omit d’éponger. Il s’alluma une cigarette, en attendant que son café fût prêt. Secoua ses cendres dans l’évier, et se versa une tasse. Le café embauma, mais cela ne l’apaisa guère. Il en but une gorgée. Reposa la tasse, et retourna dans la chambre.

    L’enveloppe l’intriguait trop. Elle était là où il l’avait laissée. Il l’a prit. L’emporta avec lui, comme un objet rare et précieux, la posa sur la table de la cuisine et finit de siroter son café, en faisant bien attention de ne pas la tâcher. Il la regardait, comme si elle le narguait. Il ne supportait pas que Marie pût avoir une vie d’où il était exclu. Ce courrier, il fallait qu’il en brise le sceau, s’en approprie le contenu. Mais, l’enveloppe ne lui était pas destinée. Ce n’était pas convenable. Il le savait. Mais sa curiosité, son impérieux besoin de savoir, de percer le secret, le broyait.

    Il prit la bouilloire, la remplit d’eau et la posa sur le feu. Lorsqu’elle émit son joyeux sifflement, il laissa un peu de vapeur s’échapper, et entreprit de décoller soigneusement l’enveloppe. Dans sa hâte, il ne s’était même pas aperçu qu’elle n’était pas fermée. Le revers était simplement glissé à l’intérieur. Il le souleva, intrigué et vaincue, celle-ci se livra au violeur. Avide et gourmand, celui-ci eut toutes les peines du monde à maîtriser ses gestes. Il avait envie d’extraire sans ménagement le feuillet glissé à l’intérieur. De s’en saisir, quitte à tout déchirer. La page unique, fut bientôt dépliée. D’une main fébrile, il ajusta ses lunettes. En haut à gauche, il y avait un nom et une adresse, celle du mystérieux expéditeur : Clément Sablé, 12, impasse des infortunées, Quimper. Pas de numéro de téléphone et une drôle d’adresse. Son regard s’empara de l’intitulé : “Très chère Marie !” Que voulait donc ce garçon à son amie ? Il grillait de l’envie d’en savoir plus, et lut sans plus attendre :

    “Mon Dieu ! Quel bonheur d’avoir pu retrouver votre trace. De vous avoir enfin rencontrée. Depuis que je rêvais de vous ! Que je vous imaginais, belle, suave, tendre, douce, en un mot, fabuleuse. Mais la réalité dépasse tous mes rêves. Vous êtes si magnifique, que je souffre à l’idée de tout ce temps qui nous a été volé par la vie, et que je souhaite ardemment rattraper ! Où êtes vous, Marie ? Je n’arrive pas à vous joindre. Depuis notre rencontre au jardin du Luxembourg, votre portable ne répond pas et votre femme de ménage m’a dit que vous étiez sur le point de vous envoler vers les Antilles. Je souhaite sans plus attendre, vous connaître mieux, même s’il est trop tôt pour que je vous appelle autrement que par votre prénom. Me laisserez-vous vous approcher un tout petit peu ? Je saurai me faire discret, ne pas vous importuner. Je ne veux ni vous encombrer, ni vous déranger, ni bousculer vos habitudes. Je respecte votre choix. Mais j’ai tant besoin de vous. Vous laisserai-je vous envoler une nouvelle fois vers quelques cieux inconnus et vous perdre à nouveau ? Laisserai-je le livre de la vie écrire de nouveaux chapitres, où je ne serai pas ? Une nouvelle vie nous attend Marie, où tous deux, nous découvrirons des horizons merveilleux, jusque là hors de notre portée. Une dimension nouvelle.

    Je n’eus jamais cru qu’il me serait possible de vous retrouver. Je vous découvre et c’est le plus beau des cadeaux !

    Pour mieux vous reperdre, et c’est mon sang qui se glace. Je sais, je suis sans doute trop impatient. Que voulez-vous, j’ai l’impétuosité de ma jeunesse. Mais j’espère que vous saurez me pardonner. Je désespère de ne pouvoir vous joindre au téléphone. Répondez-moi vite ! Pourrions-nous nous voir encore, avant votre départ ? Je bous d’impatience ! Sans réponse de vous, je suis capable de tout, y compris d’aller vous surprendre dans votre repère secret du bout du monde, là-bas, dans ces Antilles lointaines, même si je ne connais ni votre adresse, ni rien de ce pays. Je saurais bien vous dénicher et vous offrir tout mon amour, si vous l’acceptez, bien sûr ! Car je ne saurais m’imposer à vous, quand bien même, cela me briserait le coeur. Comprenez-vous l’urgence que je ressens de vous serrer sur mon coeur ? Je l’espère ! Je brûle d’impatience. Répondez moi vite, ma M….. chérie – - – ! (Je n’ose pas prononcer ce mot chéri. J’attends que vous me l’appreniez !) Votre Clément !

    L’homme n’en croyait pas ses yeux. L’inimaginable s’était produit : elle le trompait, lui mentait, le trahissait ! Pendant que lui se rongeait d’angoisse et de désespoir durant son absence, elle entretenait avec ce Clément une relation qui ne laissait que trop deviner une passion amoureuse des plus ardentes. Du moins, de sa part à lui. Mais elle ne semblait pas pour autant innocente. Elle l’avait rencontré au parc, lui avait parlé, l’avait probablement séduit, envoûté par son charme, qu’il ne connaissait que trop bien. Et elle, elle jouait les filles de l’air, l’enjoleuse…la garce ! Une haine farouche le submergea. Il ne savait plus où il en était. Cinq minutes avant, il l’adorait. Se sentait meurtri, de ne pouvoir la presser sur son coeur, souffrait dans sa chair la brûlure de son absence. Le parfum de ses cheveux, doux comme de la soie, la douceur de son cou gracile, qui se courbait sous ses baisers, sa nuque souple, son menton mutin, son sourire ravissant…lui manquaient, à en perdre la raison. Tout lui disait la peine et le chagrin dans lequel il se trouvait précipité, du fait de son départ. Et à l’instant même, il l’eut volontiers giflée et rouée de coups, avec la même violence qu’il l’eue étreinte, deux minutes avant !

    Il écrasa son poing contre le mur et ses jointures furent en sang. Cela lui fit mal. Le libéra. Il se sentit mieux, et put à nouveau respirer. Il saisit sa veste, ramassa les clefs et claqua la porte derrière lui, sans même la refermer, en emportant l’infamante enveloppe. Laissant à la femme de ménage, la tasse et la flaque à nettoyer.

    Il la detestait. Il haïssait Marie ! Il en voulait au monde entier, et se serait volontiers jeté contre un mur pour se blesser, s’il n’avait eu peur de la souffrance. Non, il valait mieux se venger. Cela le soulageait davantage, même s’il fallait attendre un peu. Mûrir un plan. Arrêter une stratégie. L’imposteur, ce Clément de m… qu’il maudissait, il en était sûr, l’avait rejointe là bas, sous le soleil des tropiques et, en ce moment même, sournois, les deux amants filaient le plus parfait amour, le laissant lui, glacé, torturé, seul. Sans présent et sans avenir. Elle lui avait volé sa vie ! Son amour ! Elle l’avait trahie. Elle méritait cent fois la mort. Il vit rouge. Il avait un besoin de sang. Tuer, n’importe qui, ou quoi, l’eut soulagé. Mais c’était un timoré. Il avait peur. Il se sentait piégé, petit, faible et sans force. Seule, sa haine, féroce, l’habitait.

    Il rentra chez lui, prit une douche dans l’espoir que l’eau chaude coulant sur son corps, lui ferait un instant oublier la morsure qu’elle lui infligeait. Mais le remède fut d’un faible effet. Il se regarda dans la glace : un peu maigrelet, ni petit ni grand, mais un visage régulier, des yeux bleus, très pâles, qui avaient su fasciner Marie. Un nez droit. Rien de bien extraordinaire, mais rien de repoussant non plus. Non, un comme tout le monde, mais dont les cheveux blonds lui parurent soudain trop flous, lui faisant un visage de bambin, pas assez dur ! Il saisit des ciseaux et entreprit de tailler à même sa chevelure. Des touffes de cheveux tombaient sur le carrelage. Il eut vite l’aspect d’un chien au poil hérissé et ses touffes pâles et hirsutes qui pointaient et se dressaient sur son crâne, le firent sourire. Il serait bien resté comme ça, mais pour passer inaperçu, ce n’était pas l’idéal. Alors, il se saisit d’un rasoir. Voilà ! Son aspect était plus militaire, plus rude, désormais. Il chercha un bonnet gris dans sa panoplie de sport d’hiver et s’en couvrit le chef. Après quoi, il dénicha dans la penderie un vieux sac à dos, datant de son époque scout et y jeta sa trousse de toilette et une serviette de bain. Il ajouta un jean propre, deux paires de chaussettes, un tee shirt, un slip de rechange et un livre de poèmes, qu’il prit dans sa bibliothèque. Les poèmes avaient le don de le calmer. Il n’oublia pas son baladeur MP 3, enfila un jean, un pull gris, un anorak noir, ramassa, son portefeuille, ses clefs de voiture et ses cigarettes. Ainsi paré, il jeta un dernier regard à la glace et vit un jeune homme comme des milliers d’autres. Parfait, personne ne le remarquerait. Il se ferait aussi gris, qu’un chat gris, dans un tunnel gris. Il ferma soigneusement sa porte à double tour, serrant la compromettante enveloppe dans sa poche. Descendit au parking, où l’attendait sa Clio noire. Il démarra en trombe et sortit.

    Il prit la direction de l’hôpital, se dirigea vers son vestiaire, et enfila sa blouse blanche. Il agrafa son badge officiel qui lui permettait toutes les allées et venues. Il savait exactement où trouver ce qu’il cherchait, ouvrit le tiroir, se saisit d’un trousseau de clefs. L’ armoire à pharmacie se trouvait dans la même pièce. Il l’ouvrit, s’empara d’une fiole et de deux ou trois seringues à jeter. Il valait mieux se montrer prudent. Il referma la porte à clef derrière lui. Remplit un registre spécial, où l’on inscrivait les emprunts et le signa, avec la date du jour. Il n’était pas censé être là aujourd’hui, mais l’avenir, il n’en avait cure. D’ailleurs, d’avenir, il n’en avait plus. Comme il se fichait de savoir ce que son chef allait penser. Il avait bien d’autres chats à fouetter ! Il retourna au vestiaire, ne croisa personne qui le reconnut et redescendit au parking. De là, il se rendit à l’aéroport et acheta un billet pour Pointe-à-Pitre. Il y avait juste une place de libre dans l’ avion du lendemain midi. Au fond de l’appareil.

    Il n’eut pas envie de retourner chez lui. S’offrit une place de cinéma. S’attabla à la terrasse d’un bistro. Mangea un sandwich, bercé par son MP 3, fuma cigarettes sur cigarettes et s’endormit sur un banc. Il passa une fort mauvaise nuit, mais cela n’avait pas d’importance.Il rendit visite aux toilettes d’un bar, pour se faire un visage présentable, s’aspergea de déodorant, puis prit la direction de Roissy et fit enregistrer son maigre bagage. Il acheta un ou deux journaux. Tua le temps comme il put, en observant les autres passagers, les couples, les familles, les enfants. Mais il ne pensait à rien. Il ne pouvait plus penser. Ni lire un poème. Ni réfléchir, car rien n’avait plus ni queue ni tête. La salle d’embarcation était noire de monde.La vie était une farce. Enfin, on appela les passagers à monter dans l’avion. Il suivit la foule, se laissa fouiller rituellement, présenta sa carte d’identité. Tout alla pour le mieux. Il avait la mort dans la tête, dans le coeur, dans l’âme, mais heureusement, ça ne se voyait pas. Il rejoignit son siège, boucla sa ceinture et attendit que le gros porteur s’arrachât de la piste pour emporter son lot de vacanciers vers des cieux plus clairs. Il s’endormit. Non pas qu’il se sentît mieux ou apaisé, mais il était fatigué. Épuisé. Il essaya de penser à la traîtresse qui avait bousillé sa vie, mais ses traits s’effaçaient. Il ne sentit que la douleur qui lui serrait la poitrine. Comme un étau brûlant. Il mangea sans faim son plateau repas, regarda le film sans le voir et s’assoupit. L’avion atterrit sans encombre, mais trop tard dans l’après midi, pour qu’il pût attraper le bateau vers la Désirade.

    La petite île, langue de verdure bordée de sable blanc et baignée d’eaux bleues, saurait bien l’attendre un jour de plus. Les touristes, dont il se fichait, s’égaillèrent vers leurs résidences de vacances, les autochtones se retrouvèrent, s’embrassèrent. Lui, se dirigea vers le port. Il y avait des gens qui grouillaient, des carcasses de voitures en décomposition qui, telles des charognes modernes, finissaient de pourrir dans le fossé, sous les fleurs qui tombaient dessus en cascades, sans que nul ne s’en souciât. Il se sentit en harmonie avec ces cadavres de taules et de métal, pliés, rongés, torturés. Des bateaux revenaient au port, vomissaient leurs passagers et marchandises dans la toufeur de l’après midi. Des cabanes de bois mal ajustées le regardaient passer dans l’indifférence. Il y avaient des filles souples comme des lianes, des motocyclettes pétaradantes, des boutiques pleines de paréos qui lui rappelaient des souvenirs de vacances qui lui firent mal et des papiers qui s’entassaient dans le caniveau. Une saleté crasse en harmonie avec son humeur.

    Le soleil lui caressa la peau, mais il l’ignora. La mer au loin, s’assombrissait déjà. Le bleu du ciel s’éteignit aussi soudainement qu’une bougie. Et il chercha un bar pour s’offrir la douceur de la brûlure du rhum. Il but plus que de raison, mais pas au point d’en perdre la tête. Avala une pizza. Et chercha un endroit pour passer la nuit. Un endroit à l’écart, au bout d’une ruelle, aussi sombre que le cul d’une négresse. Il y avait des bateaux de pêche renversés, des filets, des bouées, des objets hétéroclites abandonnés. Il se glissa sous une barque‚ à demi inclinée sur le côté, roula son sac en oreiller et s’endormit d’un sommeil qui n’était pas celui du juste. Le jour naissant le surprit reposé. L’horizon se teintait de rose, de mauves suaves qui se dissolvaient dans un fleuve de lumière orangée. Et celle-ci virait au bleu à une vitesse saisissante. Mais ce festival de couleurs ne sut pas ranimer la moindre flamme de plaisir en lui. Le moindre espoir. La plus petite joie. Il était aussi mort qu’on peut l’être, et ne souffrait pas que la vie, autour de lui, lui fît fête. Il était de mauvaise humeur. La faim le talonnait. Il s’offrit un petit-déjeuner de marin, du café noir et une rasade de rhum. Prit son billet aller-retour machinalement pour la Désirade, et attendit que les marins lui fassent signe de monter à bord.

    Il y avait là, une armée de touristes en vadrouille avec armes et bagages, des jeunes à boucles d’oreilles, qui s’interpellaient, riaient au vent, des enfants qui criaient, des amoureux qui s’embrassaient en se tenant la main, des mamans serrant des bébés dans leur bras, des couples plus âgés, qui agrémentaient leur retraite d’un peu de soleil et d’azur, s’offrant un hiver au soleil sous les cocotiers. Bref, une foule joyeuse, colorée et bavarde qui se calma quand le bateau eût atteint la pleine mer. La houle était forte et il fallait prendre garde à ne pas rendre son petit-déjeuner. Le bateau, gaillardement, dévalait les creux, escaladait les bosses, semblait prendre son élan pour gagner les nuages et retombait lourdement, dans un platch qui enthousiasmait les enfants au coeur bien accroché. L’homme aux sombres pensées, s’était terré sur son siège de plastique rouge et faisait sembler de regarder le film américain qui passait à la TV. Le bateau accosta. Des hommes brandissant des pancartes et offrant, qui une voiture à louer, un 4×4, des scooters ou des visites guidées de l’île, attendaient les touristes. Il se mêla au flot joyeux qui débarquait, repéra un gamin qui lui indiqua une baraque où une vieille à moitié myope, et qui ne parlait que créole, lui loua un scooter, avec le plein d’essence. L’affaire entendue, il enfourcha l’appareil et chercha la poste.

    Le port n’était pas bien grand et il dénicha le bâtiment sans effort. Là, il demanda le préposé, lui montra la photo de Marie, donna son nom et expliqua qu’il avait oublié de prendre son adresse, qu’il voulait lui faire une surprise. Le facteur sourit, en découvrant toutes ses dents et lui indiqua le village où son amie avait sa résidence. A l’intérieur de l’île. Il prit une petite route qui musardait dans la verdure, contournait des champs de cannes et escaladait des collines sauvages où s’éparpillaient des habitations.

    Les fourrés, et les arbres faisaient une végétation dense et touffue à laquelle il n’aurait pu donner aucun nom. Son scooter dérangeait en passant le calme d’une campagne assoupie sous le doux soleil tropical, chaud comme un petit pain au sortir du four. La mer scintillait, et venait briser, au loin, sur la barre de corail, ses rouleaux qui éclataient en écume mousseuse. En deçà, la lagune paressait et poussait de lentes vaguelettes qui venaient mourir sous les cocotiers qui penchaient.

    Il n’eut pas un regard pour la plage blonde au sable doux où s’aventuraient des iguanes peu sauvages. Ni pour les rares touristes qui se plaisaient à rejouer Robinson Crusoé et Vendredi. Ni pour les enfants qui cherchaient à dénicher sous les raisins de mer, des coquilles nacrées ou des coraux blanchis. Il prit un chemin de traverse, et aperçut un versant légèrement incliné où se nichait une vieille bâtisse. La masion d’allure coloniale, semblait avoir connu un passé plus prospère. Une galerie tournait autour d’elle, et il semblait qu’elle était inhabitée. Le jardin croulait sous une avalanche de plantes, des lianes s’entortillaient autour d’autres troncs qui ne semblaient pas étouffer pour autant, et redéployaient en tombant, de larges feuilles vernissées, aussi généreuses que des ailes d’anges déployées.

    Tout était calme. Il ne s’annonça pas. S’introduisit dans l’habitation assoupie, tel le voleur de vie qu’il était. Etouffa jusqu’au bruit de ses pas, et se faufila sur la terrasse. Une baie ouverte laissait se gonfler un rideau blanc qui se croyait une voile, s’enflait et se dégonflait, dans un rythme lent et paresseux, incitant à la sieste ou à l’amour, dans la quiétude de l’après midi. Il se fit ombre, se cacha dans l’encoignure d’une porte, et osa jeter un oeil sur le lit défait, où dormait paisiblement celle dont les caresses avaient, en disparaissant, retiré au ciel toutes ses couleurs. La traîtresse, en ses cheveux épars et défaits, faisaient songer à une Vénus émergeant de l’écume dans le premier matin du monde, aussi innocente qu’une nymphe appelant l’amour. Mais la fleur était vénéneuse et toxique. L’homme ouvrit son sac en silence, en sortit un flacon et une seringue. Aspira un liquide transparent, fit jaillir une goutte au bout de l’aiguille et, tel un serpent, s’approcha du bras blanc et le piqua avec une adresse de serpent. Elle n’eut pas un soupir, pas un râle, pas un soubresaut. Elle passa en souriant du monde des rêves à celui des anges. On n’eut pu rêver une mort plus douce, regretta-t-il. La traîtresse eut dût souffrir les mille morts du remord, cela eût été plus juste. Mais l’homme n’avait pas encore assouvi sa vengeance. Il fallait qu’il entende les hurlements de l’enfant de salaud qui lui avait ravi sa maîtresse, la découvrant morte en ses draps blancs, où il viendrait se couler, tôt ou tard. Au point où il en était, l’homme n’avait plus qu’à attendre. Il s’appuya sur le mur, se laissa glisser et s’assit, dans la pénombre du jour qui déclinait. En bas, quelqu’un avait allumé des lampes et s‘affairait autour d’une table. Il entendait des verres qui teintaient, des bruits de bouteilles qu’on débouchait, le chant des glaçons dans des verres. Soudain, un cri joyeux déchira le silence.

    “Maman “ ! Maman ! Réveille toi . Je viens de nous servir un “ti punch” ! Avec plein, de glaçons, comme tu l’aimes ! “ Le silence répondit à l’appel. L’homme se pencha effaré et vit un jeune homme d’une vingtaine d’années à la crinière blonde, reposer le verre qu’il tenait à la main et se lever.

    Il l’entendit monter l’escalier quatre à quatre, et entrer dans la chambre. Allumer la lumière, lorsqu’un cri de bête déchira le ciel de la nuit.
    “ Maman, maman ! Mais réveille toi, bon sang !”
    Les sanglots étaient déchirants. A vous vriller le coeur. Mais pourquoi appelait-il sa mère, cet enfoiré ? L’homme resta un bon moment plaqué contre le mur, se bouchant les oreilles. Entendant le jeune homme appeler les pompiers et la police tout ensemble. Il sauta dans la nuit du jardin envahi de ténèbres, disparut dans les sombres frondaisons et retrouva son scooter, qu’il avait laissé appuyé contre un tronc. Il le poussa sans bruit jusque loin sur la route, ne souhaitant pas se retrouver face à face, avec les représentants de l’ordre.

    L’angoisse, la confusion, l’habitaient. Qui était ce jeune homme ? Etait-ce le Clément de la lettre ? Se pouvait-il qu’il eût tué sa bien aimée pour rien ? Simplement, parce qu’elle lui avait caché qu’elle avait un grand fils ? L’horreur de son geste, l’angoise commençait à étendre ses tentacules monstrueuses, enserrant sa gorge et son coeur, dans un étau insupportable. Il se jeta dans un fourré au bord de la route, espérant que les ténèbres allaient étouffer sa souffrance. Il entendit le concert des sirènes qui emplirent la nuit de leurs échos. Au matin, il se renseigna au super-marché. La nouvelle était sur toutes les lèvres. Une jeune femme était morte la nuit même, d’une crise cardiaque ou d’une rupture d’anévrisme, sans qu’on sache au juste comment, et pourquoi. Comme c’était triste ! Elle avait à peine quarante ans et son fils, qu’elle venait juste de retrouver, était inconsolable.

    L’homme qu’il venait d’interroger opina du chef. Il s’enfuit, ne pouvant soutenir son regard. Enfourcha son scooter et chercha un endroit approprié, le plus isolé possible, se laissant bercé par le ressac des vagues. Sur la plage, il attendit la nuit. Relut la lettre et comprit sa fatale erreur. Entre des branches lianes qui couraient sur le sable fin, loin des regards, il se glissa, attira à lui son sac. Et le fouilla à l’aveuglette, des larmes noyant ses yeux. Il attrapa une seringue, le flacon de mort et en aspira ce qui restait de liquide. Quelques gouttes. Chercha la veine fatidique et se piqua. Espérant que sa mort serait aussi douce que celle de sa bien aimée.

    Il se réveilla à l’hôpital, sous haute surveillance.
    Un enfant, qui cherchait sa balle, le découvrit au matin. Entre la vie et la mort. On le ranima, retrouva la lettre de Clément dans sa poche, le flacon vide, la seringue. On comprit. On identifia le produit. On rapprocha sa présence dans ces fourrés, de la mort inexpliquée de la jeune femme, et les déductions du juge firent le reste.
    Il écopa de vingt ans. Sans remise de peine. La mort eût été trop douce pour lui !

     

    FIN






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