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Le secret du vieux secrétaire !
05/07/2008 06:03
Le vieux secrétaire
Minna vient d’hériter d’un vieux secrétaire. Du genre de ceux qu’on ne trouve que chez les antiquaires ! Le meuble était dans la famille depuis si longtemps que personne ne se souvenait depuis quand. Elle en avait hérité, avec toute la maison d’ailleurs, à la mort de sa tante, la seule famille qui lui restait. Cela lui avait fait une sensation étrange, au début, d’emménager dans la vieille maison familiale, où sa mère avait vécu enfant. Comme si elle prenait possession de la vie d’une autre. Non pas que sa tante eût été pour elle une inconnue.
Mais Cécile avait toujours vécu seule, célibataire endurcie, et plutôt solitaire. Avec pour seul compagnon, un chat, qui n’avait pas survécu au décès de sa maîtresse.
Aujourd’hui, Minna se promène souvent dans la maison ; elle sait qu’il lui faudra du temps pour l’apprivoiser. L’amadouer d’abord, comme on fait d’un animal sauvage qu’on désire apprivoiser. Lentement, en prenant son temps, sans l’effaroucher. N’entrer dans une pièce qu’à petit pas, presque en demandant l’autorisation, pour ne pas déranger les souvenirs. Le secrétaire de tante Cécile, l’intrigua tout de suite.
Comme si le meuble voulait lui dire quelque chose. Au début, elle ne s’approcha de lui qu’avec circonspection. Ce n’est pas qu’il lui faisait peur. Non. Mais il avait quelque chose d’inquiétant quand même, quelque chose qui la fascinait, l’attirait. Inexplicablement. Un jour, Minna eut une idée : peut être qu’elle pourrait le faire expertiser ! Pour en savoir plus sur lui. Une façon de se l’approprier, en somme.
Elle décida de le prendre en photos, sous toutes les coutures, et envoya les documents à une émission de télévision qui rend ce service aux téléspectateurs. Peut être, en saura-t-elle un peu plus long sur son histoire, se dit-elle. Et la réponse lui parvint. “Le meuble date de l’époque Louis XV ! Il vaut une petite fortune. C’est une pièce rare, exceptionnelle, même.” Lut -elle, non sans surprise !
Dès lors, Minna regarda le vieux secrétaire d’un nouvel oeil.
- Pense donc, confia-t-elle à son ami Olivier, il en va vu défiler des vies, des amours, des passions et des histoires. Peut être, même, contient-il un secret ?
Minna l’espérait de tout son coeur, presque avec ferveur. Elle commença à l’examiner de plus près. Caressant la patine du vieux bois, laissant promener ses doigts sur le délicat travail d’ornement. Des petits tiroirs, des casiers… c’est fou ce que ces gens d’antan pouvaient être minutieux et inventifs. Il y avait des endroits pour tout ranger : plumes, papiers, agrafes, enveloppes, cartes, gomme, taille-crayon, buvard etc… et sûrement, se dit Minna, un tiroir secret pour dissimuler les billets doux ! Un soir, Olivier se moqua d’elle gentiment :
- Ma chérie, ta passion pour ce meuble tourne à l’obsession, on devrait le brûler !
Minna haussa les épaules. Et pourtant, elle devait le reconnaître, son fiancé avait raison : le secrétaire agissait sur elle comme un aimant. Chaque matin, il faut qu’elle aille le voir, comme s’il l’appelait ! Il faut qu’elle aille lui parler ! Alors, elle l’interroge, tout en laissant longuement courir ses doigts sur tous ses reliefs et dans tous ses interstices. Elle en ressent comme une volupté. Elle se dit qu’un jour, il lui livrera son secret. Elle en est persuadée. Elle ouvre chaque tiroir, tire sur toutes les targettes qui laissent apparaître un casier, un rangement…
Un jour, à sa grande surprise, un porte-plume d’époque en bois d’ébène apparut soudain, comme par magie. Elle crut défaillir d’étonnement et de joie. Mais il ne contenait rien. Même pas une plume.
Ce jour là, elle referma chaque petite porte plus délicatement encore que d’habitude, remit les tiroirs en place et s’en alla, certaine qu’elle se rapprochait du but. Elle referma doucement la porte de la chambre, non sans jeter un dernier regard dans la pièce : celle-ci, décidément, avait quelque chose de bizarre. Mais quoi ? Des souvenirs peut être, qu’elle gardait gravés dans sa mémoire de pierre ?
Etait-ce le parquet ciré, qui brillait comme si on venait de le lustrer, les tentures de lourd velours cramoisi, les sombres boiseries des murs, ou le lit à baldaquin, que la tante Cécile, sûrement une romantique refoulée, avait orné de rideaux à fleurs ? Minna, de retour dans sa cuisine et attablée devant un café au lait, n’en savait trop rien. De toute façon, elle avait bien du mal à s’y faire à cette maison. Ce n’était décidément pas si facile de se couler dans la vie d’une autre. De prendre le relais, en somme. D’enchaîner sur sa vie, comme on continuerait un tricot abandonné.
Puis, les mois passèrent. Et Minna s’est mariée.
Le jeune couple s’est tout naturellement installé dans la maison. Olivier a suggéré que peut être, on pourrait refaire les peintures. Rajeunir les papiers peints.
-Cela donnerait un petit coup de jeune, et contribuerait sûrement à chasser les esprits qui peut-être, se complaisent, la nuit, à hanter les vieux murs, s’est-il un jour écrié comme pour plaisanter !
Aussitôt dit, aussitôt fait !
Minna et Olivier y ont consacré tous leurs week-ends. Et la maison sembla effectivement renaître. Redémarrer un nouveau cycle. Dans la chambre de Cécile, devenue la chambre du couple, Minna a tout transformé. Mis des voiles transparents rose vif au baldaquin, donné les lourdes tentures à sa belle-mère, et installé à la place, de légers rideaux couleur pêche, joliment enfilés sur la tringle avec des nouettes. Puis elle a repeint les boiseries en couleurs pastel, mis de la moquette fraise écrasée sur le vieux parquet et dispersé des coussins orange sur le lit. Le jour de l’inauguration, elle a ouvert en grand les portes-fenêtres et laissé respirer la pièce refaite à neuf avec des couleurs chaleureuses.
- Il faut donner à cette maison un nouveau souffle de vie , a t-elle déclaré à Olivier qui s’étonnait, en plein mois de février glacial, de la voir aérer la chambre, comme si l’on était au printemps ! Admire le secrétaire de Cécile, fit la jeune mariée, ne fait-il pas la meilleure impression sur ce mur abricot ? Olivier, qui s’en foutait, hocha la tête pour faire plaisir à sa femme.
- Allons, viens, faisons-nous un café, lança -t-il !
Minna quitta la pièce comme à regret. Referma les fenêtres, et jeta un dernier regard à son meuble chéri. Elle se dit que lundi, après le départ d’Olivier pour le bureau, elle saurait bien s’approcher doucement de lui, comme d’un vieil ami. Le prendre par la douceur… Câliner sa patine de vieux bois avec suffisamment de conviction pour qu’il se livre, enfin, à elle. Elle n’ajouta pas un mot, sentant que son idée fixe commençait à fatiguer la patience de son mari.
Le lundi tant attendu arriva. Minna prit un bon petit déjeuner et s’interdit de jeter le moindre regard du côté du meuble avant d’avoir fait sa toilette, et expédié le ménage. Puis, elle s’attela à sa tâche, bien décidée, cette fois, à ne pas quitter la pièce sans avoir découvert le secret caché qu’il lui tenait tant à coeur de découvrir. Minutieusement, elle commença par vider sur l’écritoire de cuir tous les tiroirs. Elle ouvrit l’un après l’autre tous les casiers, promena le bout de ses doigts très doucement, en appuyant de temps en temps sur tous les reliefs, toutes les aspérités, sur tous les fonds, jusqu’à ce qu’un grincement lent et un peu aigu lui arrache un cri de victoire.
Une petite porte glissa. Un couvercle disparut, laissant voir un casier dissimulé dans le bâti de l’écritoire, tout à fait en dessous. Il faut se pencher pour voir ce qu’il y a dedans, et glisser la main à tâtons, pensa Minna. Elle avança prudemment le bout de ses doigts et sentit comme un rouleau de papier maintenu par un lien très doux au toucher.. Elle le fit rouler doucement pour le saisir et le sortit de sa cachette. Un ruban de soie bleue le maintenait et le papier, certes un peu jauni, apparut sous ses yeux ébahis, exactement dans l’état où on l’avait laissé.
Extraordinaire ! Quelle découverte sensationnelle ! Minna resta fascinée devant l’objet. C’était à peine si elle osait le toucher. D’abord, appeler Olivier à son bureau, pensa-t-elle. Lui dire l’extraordinaire trouvaille !
Et puis, attendre l’heure du déjeuner. Lui montrer le rouleau en grande cérémonie. Mais, en attendant, que faire ? Minna prit délicatement le papier entre ses doigts, comme s’il allait se réduire en poussière sous la pression et le reposa comme une relique, sur le cuir de l’écritoire. Tiens, une idée ! Elle pourrait le photographier, en attendant de le montrer à Olivier. Elle fit le cliché et reposa l’appareil.
Puis, se mit à attendre, fébrile ; incapable de rien faire d’autre, le coeur battant. Enfin soulagée, elle entendit la Golf de son mari freiner dans la cour. C’était bien lui. Le pauvre n’eut pas le temps de pousser la porte ni de reprendre son souffle, que déjà, sa femme l’entraînait vers leur chambre et sa découverte fatidique. Le rouleau l’attendait effectivement, comme une pièce de musée exhumée d’une tombe, ou un objet d’archéologie.
Olivier s’approcha de l’objet et le regarda presque avec précaution, comme si c’était sacrilège, osant à peine le toucher.
- Tu peux le prendre dans tes mains, tu sais, il ne mord pas, plaisanta Minna, pour alléger l’atmosphère quelque peu tendue. Olivier avança son index et caressa du doigt le mince ruban de soie, avant de demander où sa femme l’avait trouvé. Elle lui montra le délicat mécanisme et Olivier put vérifier qu’il fonctionnait encore parfaitement. Comme si on l’avait huilé d’hier. Les yeux étonnés, les oreilles en alerte, il entendit le clic-clac bref, suivi d’un grincement léger, et vit le casier s’ouvrir et se refermer en un clin d’oeil.
- Etonnant, non ? Tiens, je vais le rouvrir. Et Minna d’actionner à son tour le mécanisme secret. -C’était astucieux, tu ne trouves pas ?
Olivier, hocha la tête. Mais Minna n’avait d’yeux que pour sa trouvaille. -Tu crois qu’on pourrait l’ouvrir ? Olivier regarda sa femme : -Pour quoi faire ? -Mais pour le lire, évidemment ! -Je ne sais pas. Cela me dérange un peu. N’est ce pas indiscret, même si ta tante est morte ? -Mais j’en meurs d’envie, et toi aussi, je parie ! Je le vois dans tes yeux !
Minna se moqua gentiment de son mari. - Que veux-tu que je te dise, je n’aime pas ça, ça ne s’explique pas. A ta place, je remettrais ce rouleau là où tu l’as trouvé et je vendrais le meuble avec son secret. Cela me paraît bien plus raisonnable !
Mais Minna était trop curieuse pour tenir compte de l’avertissement de son mari.
- Allons donc, que veux-tu qu’il nous arrive ! Je ne crains pas le fantôme de tante Cécile ! Elle était plutôt du genre sauvage de son vivant, ce n’est pas pour venir nous tirer maintenant par les pieds, la nuit, parce que nous aurons eu le toupet de lire ce petit billet ! Il renferme sûrement la confession d’une de ses amourettes de jeunesse. Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’elle était du genre “fleur bleue”, la vieille fille ! Ce ne serait amusant, tu ne trouves pas ?
Olivier resta dubitatif et sur la réserve.
- Tu vas me photographier pendant que je l’ouvre. Il faut immortaliser ce moment historique. Minna s’assit sur la courtepointe du lit et dénoua d’un geste décidé le lien de satin.
- Attends, tu ne croix pas que c’est…comment dire , sacrilège, d’entrer comme ça dans la vie de ta tante, sans y avoir été invitée ? De lui voler ses secrets ! Minna haussa les épaules.
- Mais non ! Elle n’est plus là de toute façon, et puis, qui te dit que ces papiers lui appartenaient. Tu te fais de ces soucis !
Le rouleau défait s’ouvrit comme une rose au matin, et laissa échapper plusieurs feuillets qui allèrent doucement virevolter avant de tomber comme d’humbles pétales sur la moquette.
Minna les ramassa avec délicatesse et les étala sur le couvre-lit. Avant de découvrir une écriture serrée, penchée et violette. Une écriture de femme, à tous les coups, se dit elle. Et elle commença à lire à haute voix, pour que son mari ne perde pas un mot du billet :
“Moi, Cécile Bonvallon, saine de corps et d’esprit, confie ce jour, 15 Décembre 1965, le bébé que je viens de mettre au monde à ma soeur Amanda, pour qu’elle l’élève, elle et son mari Philippe, comme leur propre enfant. J’ai toutefois demandé à Amanda de conserver à ma petite fille le nom que je lui ai choisi : “Minna !”
La voix de la jeune femme s’éteignit soudain comme une flamme de bougie qu’on souffle. Elle se brisa sur ce dernier mot. Curieuse et excitée comme une gamine, elle avait lu jusque là, d’un trait, avide d’en savoir plus, jusqu’au moment où ses yeux avaient buté sur ce nom : le sien ! La tête, un moment, lui tourna. Elle se dit que ce cela n’avait aucun sens. Amanda, sa mère, était malheureusement décédée il y a quelques années, dans un terrible accident de voiture. Olivier se précipita.
- Cela ne va pas, ma chérie ? - Je ne sais pas, balbutia la jeune femme en tendant le feuillet vers son mari : lis ce nom : “Minna” ! Mon nom n’est pas si courant, et cette date de naissance, regarde, c’est la mienne ! Mon Dieu, Olivier, mais qu’est ce que cela veut dire ? Qu’est ce qui m’arrive ?
Olivier prit le mince feuillet des mains de sa femme et le replaça sur le secrétaire.
- Je ne sais pas.
Cela n’a sans doute rien à voir avec toi. Ce sont là de vieilles histoires, des choses qui appartiennent à une autre vie que la nôtre et ne nous regardent pas. Je t’avais dit de ne pas toucher à ces vieux machins, c’est malsain ! Tu te rappelles la tombe de Touthankamon, elle a porté malheur à tous ceux qui s’en approchèrent. Superstition ou pas, ça ne change rien pour les morts ! Remets ce rouleau en place et vendons ce meuble. Cela ne porte bonheur à personne de vouloir percer à jour les secrets des autres. C’est de la curiosité perverse, crois moi. Avant d’en savoir plus, et risquer, qui sait- peut être ta vie, et notre bonheur, oublions tout ça, cette lettre et ses secrets. Tu veux bien ?
Minna se laissa faire et Oliver l’entraîna vers la cuisine.
- Je mangerais bien un morceau, pas toi ?
Minna ouvrit le frigo et en sortit deux belles côtes d’agneau et des haricots verts, qu’elle mit aussitôt à faire réchauffer dans du beurre. Les côtes grésillèrent bientôt dans leur jus et Olivier, qui venait de faire un sort au pâté, se sentait déjà tout ragaillardi :
- Tu vas me faire le plaisir d’oublier toute cette affaire, chérie, et de ne plus céder à ta curiosité vraiment malsaine ! Nous allons remettre ce rouleau là où tu l’as trouvé. Et je ne veux plus entendre parler de cette histoire. C’est bien compris ?
Minna n’avait pas faim et avait à peine touché à sa viande. - Mais enfin, Olivier, imagine, si c’est moi ce bébé, dont parle la lettre, réfléchis, ce serait épouvantable ! Tu penses à ce que cela voudrait dire ? Que mes parents ne seraient plus mes parents et qui serais-je alors ? La fille de cette vieille couenne toute racornie, qui ne m’a pas adressé la parole plus de deux fois dans sa vie ? Et maman, et papa, ne seraient-ils plus mes parents ? Mais qui seraient-ils alors ?
Minna éclata en sanglots. Olivier la prit dans ses bras et tenta de la consoler :
- Allons, que vas-tu chercher là ! Tout ça, c’est des bêtises, ta tante a vécu toute sa vie presque en recluse. Excepté le temps qu’elle a passé dans le secrétariat des bonnes-soeurs à faire leur comptabilité, elle n’a quasiment pas bougé de son fauteuil et de son potager ! C’était sûrement une sauvage, une misanthrope ! Comment aurait -elle eu le temps de faire un enfant, et avec qui, en plus ? Oublie tout ça et le plus vite sera le mieux. Ne suis-je pas là pour t’aimer désormais, et m’occuper de toi ? Qu’as-tu besoin d’aller déterrer, encore une fois, des histoires de bonnes femmes, qui ne nous concernent en rien ? Sois raisonnable !
Olivier essuya une larme qui coulait sur la joue de sa femme et l’embrassa. Il regarda sa montre et se leva comme si une guêpe l’avait brusquement piqué :
- Mon Dieu, j’ai rendez-vous à l’étude à deux heures pile. Pour ouvrir le testament “Desroches” ! Je n’ai pas une minute à perdre. Je t’appellerai dans l’après midi. Olivier déposa sur la joue encore mouillée de son épouse un bref baiser et la força à sourire.
- Pas de bêtise, hein ? C’est lundi, tu vas à l’atelier de poterie, tout à l’heure ?
Minna hocha la tête. Olivier partit rassuré. Il était premier clerc dans l’étude de son père et comptait bien, dans l’année, reprendre l’étude à son nom. Il mettait beaucoup de coeur à l’ouvrage, avec toute l’impétuosité de sa jeunesse. Et Minna entendit les pneus de sa Golf égratigner l’allée, comme s’il en voulait personnellement à chaque caillou. Elle débarrassa la table et se fit un café. Décidément, elle n’avait pas la moindre envie d’aller à la poterie, cet après midi ! Les enfants de l’institut pédagogique, dont elle s’occupait bénévolement quelques après midis par semaine se débrouilleraient bien tout seuls, pour une fois, et de plus, ils avaient Ashley, une jeune américaine qui faisait un stage à la ville. Non, décidément, elle voulait savoir. Elle n’en dormirait plus si elle devait remettre le rouleau à sa place, comme le lui demandait son mari. C’était impossible. Elle brûlait même d’impatience de découvrir ce que cachait la suite de l’histoire.
Elle rangea la cuisine. Fit scrupuleusement la vaisselle et essuya la table. Pour revenir à la chambre de Cécile. Elle y retrouva le rouleau, exactement à la place où l’avait posé Olivier. Et reprit sa lecture. Même si ce qu’elle allait apprendre devait bouleverser sa vie, il fallait qu’elle sache ! Elle prit le morceau de papier dans sa main et, le coeur battant, poursuivit sa lecture interrompue :
“Maman n’eut pas trop de mal à convaincre Amanda qui était mariée depuis cinq ans, et désespérée de ne pas avoir d’enfant de son mari. “Il suffira, lui avait-elle dit, que tu fasses semblant d’être enceinte, pendant quelques mois. Te promener avec un coussin sur le ventre ne sera pas trop dur, et tu n’auras qu’à creuser les reins de façon caractéristique, pour accréditer l’authenticité de cette grossesse si désirée. Pendant ce temps, nous cacherons la petite chez toi. Ni vu ni connu ! Et personne ne saura jamais. Notre réputation est en jeu.”
Et ainsi fut fait ! Je passais la fin du printemps et l’été au fond du jardin d’Amanda, à apprendre l’anglais, puisqu’on avait dit à tout le monde que j’étais partie comme fille au pair à Bournemouth, en Angleterre. Mon ventre prenait doucement de la rondeur et me faisait horreur. J’avais quatorze ans ! Le pire est que je passais mon temps à revivre avec angoisse et terreur les moments affreux qui m’avaient mis dans cet état. D’abord, j’étais revenue à la maison en pleurs, toute sale et ma robe déchirée. Mais, heureusement, il n’y avait personne. Je me suis passé la figure à l’eau et me suis lavée au gant de toilette en frottant de toute mes forces. Et puis, j’ai recousu ma robe. J’ai dit à maman que je m’étais accrochée à une épine dans le chemin. Et elle m’a disputée. J’espérais que personne ne découvrirait jamais rien. L’horrible bonhomme ! Il m’avait dit que si jamais je l’ouvrais ou le dénonçais, il s’en prendrait à mon petit frère qu’une méningite avait rendu simplet. Je tremblais qu’il lui arrive malheur !
Cet homme était capable de tout, il me l’avait prouvé. Cela faisait des jours qu’il m’épiait, à mon insu. J’avais bien aperçu une grosse voiture noire qui n’avait rien à faire dans les parages. Cela m’avait intrigué, et même, je l’avoue, fait un peu peur, mais comme rien ne se passait, je l’avais oubliée. Et puis, un jour d’avril, alors que je m’amusais à cueillir des jonquilles en revenant du cours complémentaire où j’apprenais la sténodactylo, la voiture a débouché à l’endroit où le chemin donne sur la route. L’homme, rondouillard, d’un âge incertain et plutôt chauve, se pencha pour ouvrir la fenêtre de la portière et me parler. Il me dit qu’il était docteur, que ma mère venait d’avoir un malaise et qu’il venait me chercher. Inquiète, je ne mis pas un instant ses paroles en doute, et montai dans l’auto. Il se pencha vers moi avec un sourire paternel pour fermer la porte à clef, en m’expliquant que c’était plus prudent, et accéléra brusquement. Il prit à droite le chemin du bois.
“C’est un raccourci”, me dit-il. Puis, il rangea la voiture sur le côté, dans une sorte de petite clairière couverte de feuilles mortes. Là, je commençais à paniquer. Je lui demandais pourquoi il s’arrêtait là et il me dit de ne pas avoir peur. Qu’il ne me voulait aucun mal. Je voyais bien qu’il mentait. Je voulus ouvrir la portière mais elle était fermée. Son bras barrait ma poitrine et sa bouche m’empêchait presque de respirer. Son haleine m’étouffait et me répugnait. Je voulus crier mais il me dit que cela ne servirait à rien, car personne ne pourrait m’entendre. Que je ferais mieux d’être gentille et de me laisser faire. Je ne peux raconter la suite. C’est un souvenir trop humiliant, trop douloureux, trop horrible pour que je puisse, même des années après, même aujourd’hui où j’ai dépassé la quarantaine, mettre des mots dessus. Cela bloque, là dans ma gorge. La honte sans doute ! Le sentiment inexprimable d’avoir été souillée à vie, humiliée, en un mot comme en cent, violée ! Son forfait accompli, l’homme se releva poussif, peinant à reprendre son souffle. Il me demanda si je le connaissais et je répondis que non.
C’est alors qu’il me menaça des pires représailles si jamais il me venait à l’idée, moi une sale petite traînée, de le dénoncer à mes parents ou à la police. Il me dit que je m’en tirais à moindre mal puisqu’il consentait à me laisser en vie, et me poussa dehors. Il me jeta mon sac de classe à la figure, et fit demi tour. Je vis la voiture s’éloigner et disparaître à la sortie du bois. Je me mis à sangloter en m’appuyant sur le tronc d’un arbre et m’avisai que ma robe était toute déchirée. Je fermai mon duffelcoat pour que personne ne le remarque et courus vers la maison. Les jours suivants, maman ne remarqua rien. Car je m’efforçais de ne rien laisser voir. Mais je ne tardais pas à m’apercevoir qu’il se passait quelque chose de bizarre. Je n’étais plus “indisposée” une semaine par mois, comme on disait à l’époque, et même si l’éducation que j’avais reçue était des plus sommaires sur ce chapitre, je n’étais pas sans savoir ce que cela signifiait.
L’horreur me submergea et la terreur d’avoir à confesser l’inavouable m’envahit. Je me mis à surveiller ma taille dans l’espoir imbécile d’arriver à dissimuler le plus longtemps possible ce que tout le monde allait un jour ou l’autre finir par apercevoir. Je ne quittais plus ma blouse qui avait l’avantage d’être assez large sur le devant, et je réussis à dissimuler mon état jusqu’au mois de juin, où ma mère découvrit évidemment le pot aux roses.
Remise de son état de choc, de sa surprise et de sa colère, elle me posa bien sûr l’inévitable question : qui était le père ? Mais le souvenir des menaces de l’homme me retint de parler. La pauvre n’apprit la nouvelle que bien plus tard, lorsque ma fille fût née et déjà grandette.
Un jour, elle me pressa de répondre à ses questions. Ne comprenant pas comment, moi, une fille aussi sage, qui ne fréquentait jamais de garçon, n’allait pas au bal, et ne sortait pour ainsi dire jamais, une telle chose avait pu m’arriver. Je lui racontais tout en pleurant. Elle me convainquit alors de décrire le type qui m’avait fait ça, et je vis le visage de ma mère virer au gris. Je compris qu’elle l’avait immédiatement identifié. La marque de sa voiture, qui ne passait pas inaperçue, la coupe impeccable de son pardessus, la description de son physique court sur patte, celle de son visage glabre et rond, de son crâne chauve, ne lui laissa aucun doute.
Elle resta sans voix une bonne minute et ne reprit la parole que pour me faire comprendre d’un ton solennel, que je ne devrais jamais, “au grand jamais ! m’as tu comprise ?” raconter cette histoire à qui que ce soit.
Nous étions des gens sans histoire, et il n’était pas question que cela ne le demeurât point. Mais à toi, ma fille, si un jour, j’ai le courage de te pardonner les conditions affreuses dans lesquelles tu es venue au monde, j’ai le devoir de te dire, si cette lettre arrive entre tes mains, qui est ton père. Ou plus exactement ton géniteur, tant le terme de “père” paraît ici déplacé”. A ce moment de sa lecture, la gorge sèche, le coeur au bord des lèvres, Minna crut qu’elle allait vomir. Mais elle réussit à se maîtriser. Il fallait maintenant qu’elle aille jusqu’au bout de l’horreur. Au bout de la vérité, aussi insupportable soit elle !
Et elle reprit sa lecture : “L’homme à la déesse noire, ce pédophile infâme qui a gâché ma vie, alors que je n’avais pas encore treize ans révolus, en me dépossédant de ma jeunesse et de mon corps de femme, il faut que tu le saches, ma fille, cet homme immonde n’est autre que le notaire de notre ville,“ Jacques Delarbre” ! Lequel coule depuis son forfait des jours sereins dans sa belle propriété, et finit ses nuits au Sénat ! Oui, ma Belle, un notable irréprochable, un père de famille au dessus de tout soupçon, marié à une femme modèle. Une famille respectable ! Un homme à la réputation sans tâche, et qui arrangue les foules les veilles d’élection, avec la voix onctueuse d’un prélat !”
Minna cette fois, défaillit pour de bon. Elle crut qu’elle allait s’évanouir. Là sous ses yeux, s’étalait la vérité la plus monstrueuse, une vérité insoutenable, pire que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle la prit en pleine poitrine comme un coup de poing et perdit presque conscience. Elle était la fille de son beau-père !
D’abord, elle ne comprit pas jusqu’où allait l’horreur. Mais celle-ci lui sauta au visage toute griffe dehors, comme une chatte en chaleur : elle était la soeur de son mari ! Là, elle s’évanouit pour de bon et tomba sur le fauteuil, sans connaissance. Depuis un quart d’heure, Olivier tentait de joindre sa femme au téléphone. En vain. Cela devait faire un bon moment qu’elle devait être revenue de l’atelier. Elle n’y restait jamais plus d’une heure et demi, et il devait être cinq heures passées. N’y tenant plus, il sauta dans sa voiture et fonça jusque chez lui.
Il trouva Minna dans la chambre, évanouie. Mais en se dirigeant vers la salle de bain, pour y quérir un linge de toilette mouillé, il marcha sur le dernier feuillet que son épouse avait lâché et le ramassa. Ses yeux tombèrent sur la ligne fatidique, celle qu’il n’aurait jamais dû découvrir. Et lut … Il reprit la lettre à son début, la dévora et pâlit. Il avait du mal à respirer, à déglutir.
Voilà pourquoi la pauvre Minna gisait là sur le fauteuil, comme une fleur coupée ! Il alla dans la salle de bain chercher de l’alcool de menthe et la ranima. Quelques jours plus tard, un effrayant fait divers mit la presse locale sens dessus-dessous. Un homme, un jeune marié, avait tiré à bout portant, avec un fusil de chasse de calibre 12 sur son père, un notable bien connu de la région, avant de retourner l’arme contre lui. Il avait pris soin toutefois, dans l’après midi, de régler son compte à sa jeune épouse, en lui tirant dans le dos, au travers de son fauteuil en osier. La jeune femme, ont pu constater les policiers, est morte sur le coup. Les causes de ce drame familial, conclut l’article, ne sont, à ce jour, pas encore élucidées.
FIN
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Légende du chien noir
03/08/2008 04:39
Le chien noir
La mère Valentin, fermière aux Noyers, dans la commune d’Orgères, me fit un jour le récit suivant :
Une femme étant en mal d’enfant, au village de la Haie-de-Chartres, on envoya, la nuit, un tailleur appelé Favrais, chercher une sage-femme qui habitait la Grenadière, dans la paroisse de Bruz.
En marchant, Favrais s’aperçut qu’un tout petit chien noir le suivait. Bientôt l’animal le devança, marchant devant lui au point de l’empêcher d’avancer, tournant tout autour de sa personne, faisant mille farces.
Aux échaliers des chemins, le chien chercha plusieurs fois à jeter le tailleur par terre, puis, soudain, apparut à l’homme d’une grosseur démesurée.
L’infortuné couturier fut pris d’une peur affreuse et se mit à courir comme un insensé.
Quand il arriva chez la mère Drouin, c’était le nom de la sage-femme, — il n’avait plus figure humaine. Il raconta ce qui lui était arrivé et dit à la vieille : « Venez voir, dans la cour, le chien noir qui me suit depuis chez moi. »
La sage-femme sortit de chez elle, mais ne vit rien. Elle supposa que le bonhomme avait bu un coup et fait un mauvais rêve.
— Partons, dit-elle, puisqu’on m’attend.
Elle n’eut pas fait un quart de lieue qu’elle partagea la frayeur du tailleur : le temps était calme, les étoiles brillaient au ciel, pas un souffle d’air ne venait effleurer leur visage, et cependant les buissons frissonnaient, les arbres gémissaient, et un bruit étrange semblait les poursuivre.
Lorsqu’ils arrivèrent à la Haie-de-Chartres une voix leur dit : « ne vous pressez pas, vous avez le temps. » Et cependant personne n’était près d’eux.
La sage-femme entra dans la maison, où la malade était au plus mal ; si elle avait seulement tardé de dix minutes, elle eut trouvé morts la mère et l’enfant. La délivrance eut lieu fort heureusement et un garçon vit le jour.
Au même instant, par la fenêtre donnant sur le courtil, et laissée ouverte, on entendit les branches d’un cerisier craquer, se briser et tomber par terre.
C’était, à n’en pas douter, le diable caché dans l’arbre, qui manifestait à sa façon son mécontentement de n’avoir pu empêcher la mort de deux créatures humaines.
FIN
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Histoire : La pierre !
16/09/2008 03:52
La pierre
Un soir d’hiver, en Alsace …C’est carnaval, tout le monde fait la fête, on boit, la bière coule à flots… Des hommes sortent d’un bar, rient, on entend leurs éclats de voix jusque sous les fourrés du bois voisin, où des amoureux ont trouvé refuge…
Deux jeunes cadres sont en séminaire dans une ville d’Alsace. L’une de celle qui borde la frontière, et où l’on ne sait pas trop si l’on est en France, où déjà en Allemagne. C’est carnaval. Il y a bal dans la rue. Les bistros sont pleins à craquer de lampions, de bières, de filles et de farandoles joyeuses. Il est minuit passé. Les deux hommes sortent de la dernière “Bierstube” et ont le vin plutôt mauvais. A cause d’une fille sûrement. Ils s’insultent. Se bourrent les côtes, rient grassement, jouent à se faire tomber. Se rattrapent, et pour finir, s’enfoncent dans la forêt toute proche, une canette à moitié pleine encore à la main. Ceux qui les croisent ne remarquent rien. Ils sont aussi bourrés qu’eux ! Près d’un torrent qui rugit, ils hurlent encore plus fort. Ils se battent, pour rire. .
Un des deux hommes tombe à terre.
Malencontreusement. Sur une pierre pas plus grosse qu’un melon. L’autre lui bourre les côtes de coups, pour qu’il se relève. Mais le comparse reste aussi inanimé qu’un vulgaire sac de patates. Une dernière bordée d’injures ne le ramène pas à la vie. Alors, l’autre s’affole, tout gris qu’il est. “Merde, relève toi, putain ! C’est quand même pas une saleté de pierre qui t’a fracassé le crâne, fais pas le con !” Dans les brumes de l’alcool, le type secoue son copain. Mais rien n’y fait. Alors, il s’affole, pour de bon : “ et s’il était vraiment mort ? Il faut pas qu’on le voit ! Il faut que je traîne ce satané corps dans l’épaisseur de la forêt, pour le dissimuler provisoirement aux regards”. La nuit est noire et plutôt frisquette. Peut être n’est-il qu’ évanoui, se dit-il, dans un ultime espoir. Le froid va le réveiller.
L’homme part en jurant. Il fait voler des cailloux avec ses pieds. La maison où ils habitent tous les deux avec les autres gens du groupe n’est pas loin. Au pied du château, qui étend sa grande ombre sur le village. Et dans le garage, il s’en souvient, il y a une pelle. Il l’a vue. Il suffit d’aller la chercher. Il y va. En trébuchant, certes, mais il y va. Aussi sûr que deux et deux font quatre. C’est fou ce qu’on dessoûle vite dans ces cas là !
Muni de l’instrument, il retrouve le corps de son copain et, dans un dernier espoir, braque le jet de lumière de sa lampe de poche sur son visage maculé de terre. Le regard est déjà vitreux. “Merde, c’est pas Dieu possible, se dit-il, il est mort, tout ce qu’il y a de plus mort, il n’y a plus rien à faire !” Alors, il enterre le corps le plus profondément possible, en prenant bien soin de camoufler l’endroit sous des feuilles et des branches. Ni vu ni connu.
Le lendemain, Xavier ne refait pas surface. Tout le monde s’interroge sur son étrange absence et bientôt, sur sa disparition. La police, prévenue, enquête mollement. Mais enfin, trouve ça quand même un peu bizarre. Les flics se bougent un peu, interrogent. Mais tout le monde était passablement éméché. Et personne n’a rien remarqué, rien vu, rien entendu. Bref, Xavier D. reste introuvable. La police n’a aucune piste, aucun indice. Aussi, après avoir scrupuleusement interrogé les villageois et tous les témoins possibles, elle renvoie ses affaires à sa femme et classe le dossier.
Céline D. son épouse, avertie par téléphone, n’y comprend rien. Les parents de Xavier, des retraités bien sages, non plus. Stéphanie, cinq ans et Kevin, huit ans, asticotent leur mère de questions. Il habitent en région parisienne, un beau pavillon en pierres meulières donnant sur un jardinet, fermé par une grille en fer forgé noire. Céline tourne en rond dans sa chambre au joli papier peint fleuri. Elle a pris quelques jours de congé à la banque pour digérer le coup. Elle passe sa vie au téléphone, mais personne ne peut l’aider. Elle pleure, tempête, se révolte toute seule dans sa cuisine. Et n’admet pas. Pourquoi Xavier qui l’aime, qui adore ses enfants et son travail, où il est très bien noté ,soit dit en passant aurait-il ainsi subitement disparu, sans laisser de trace, sans rien dire à personne, sans prévenir ses collègues ? Ca n’a pas de sens ! Tout le monde en convient. La plaint sincèrement. Mais personne ne fait rien. Les semaines passent. Elle n’a plus de larmes pour pleurer et les factures qu’elle ne peut pas payer s’accumulent. Alors, elle vend ses titres. Toutes leurs économies. Et les semaines, puis les mois s’écoulent. Sans Xavier et sans aucune nouvelle de lui. Là-bas à K…, tout le monde a déjà oublié l’histoire.
Mais Céline n’arrive pas à se remettre de la disparition de son mari et reprend contact avec son entreprise, qui avait organisé le stage fatal. Elle réussit à retrouver la liste de tous les participants et leur envoie une lettre. Où elle leur demande de dire tout ce qu’ils savent de son mari. Au moins, tout ce dont ils se souviennent. Le moindre détail peut avoir son importance. Et elle va les voir, chacun leur tour. Prend des notes pour essayer de comprendre. Plusieurs mois passent. Enfin, elle retrouve Philippe, le seul stagiaire qu’elle n’a pas encore pu interroger. Il vit à New York, où il dirige une filiale du groupe.
Philippe, contacté par téléphone, reste d’abord pétrifié. Il faut qu’il réagisse et vite. Que la femme de son ami ait réussi à le retrouver, voilà une chose qu’il n’avait pas prévue. Il essaie de se reprendre, prend une voix neutre et lui donne des informations évasives. Mais la voix de Céline se fait insistante, elle est à New York et désire le rencontrer. Philippe desserre sa cravate et se racle la gorge. “Mais bien sûr, quand vous voulez, se surprend t-il à répondre” ! Et le soir même, elle est là devant sa porte, dans son salon, en petite robe noire, avec ses cheveux blonds sagement retenus. Il lui propose de prendre place sur le canapé, de se mettre à l’aise et lui offre une coupe de champagne. La situation est surréaliste. Elle est belle. Il lui ferait bien quelques avances, si ce n’était cette horrible sensation, ce malaise qui le submerge. L’affreuse image du visage de Xavier mordant la terre et son regard vitreux qui le fixe, il n’a pas pu oublier. La vision le poursuit, le harcèle. Il se sent si coupable ! Il ferait n’importe quoi pour l’aider, d’autant que la jeune femme lui semble plutôt désemparée. Elle est venue toute seule dans cette grande ville, dont elle ne parle pas la langue, pour retrouver la piste de son mari disparu. Il a pitié d’elle. Devant sa détresse, il lui propose de venir s’installer chez lui. Son vaste appartement est à elle. Ce sera toujours mieux que l’hôtel ! De plus, elle pourra lui parler de son mari disparu et cela la soulagera peut être. Ses enfants sont chez leur grand-mère ? Elle n’a donc aucun souci à se faire !
Céline n’est pas insensible au charme de Philippe. Elle accepte, contente de rencontrer, pour la première fois, une personne qui ne semble pas indifférente à son problème. Qui l’écoute, avec autre chose que de la politesse dans le regard. Mais Philippe lui, ne sait plus où il en est. La proposition qu’il vient de faire à Céline le terrifie, d’autant que la jeune femme est par ailleurs terriblement séduisante. Ne voila-t-il pas qu’il se sent attiré par la femme de celui qu’il a tué ? Mais Philippe et Céline se plaisent. Ils ont tous deux besoin de réconfort. Alors, ils cèdent à cette passion soudaine qui les submergent sans crier gare. D’autant plus facilement que Céline aussi a besoin d’oublier…
Depuis qu’elle connaît cette aventure sentimentale avec Philippe, Céline a le sentiment de revivre. De sortir enfin du cauchemar dans lequel l’a plongée la disparition subite de son mari. Et puis, New York lui plaît. C’est une ville tellement pleine de surprises et de vie. Si épique, si forte et aussi, si romantique ! Mais il lui faut s’arracher, revenir en France où ses enfants l’attendent. Elle part donc, mais reste en contact presque quotidien avec son amant. Céline retrouve son pavillon de meulières, son jardinet de banlieue propret et son travail à la banque. Philippe, par chance, doit venir à Paris rendre des comptes à sa direction sur les avancées commerciales de sa filiale. Et ne résiste pas au désir de retrouver Céline. C’est de nouveau le bonheur ! Ils décident de passer leurs prochaines vacances d’été ensemble dans le parc Yosemite, aux USA. Et, en septembre, n’y tiennent plus. Ils annoncent à la famille ébahie de Céline leur projet de se mettre en ménage.
Au début, c’est vrai, la mère de Céline est un peu réticente. Ses beaux parents, carrément choqués. Ils trouvent quand même que c’est un peu trop tôt. Il n’y a pas un an que Xavier a disparu ! L’enquête, plaide Roland, le père de Xavier, n’a peut être pas dit son dernier mot. Mais, renseignement pris, la police a bel et bien fermé le dossier et aucun nouvel indice ne permet de le rouvrir. Pour Céline, Xavier a disparu, probablement pour toujours. Peut être, a t-il voulu se refaire ailleurs une nouvelle vie ? La famille de Xavier n’en est pas convaincue, mais la mère de Céline s’incline devant le nouveau bonheur de sa fille.
Elle et ses enfants partent donc s’installer à New York. Céline loue son pavillon. Une nouvelle vie commence en Amérique. Les débuts sont grisants. Les enfants sont heureux de découvrir une nouvelle école. Céline nage dans le bonheur, d’autant que le salaire de Philippe lui permet un niveau de vie qu’elle n’avait jamais connu. Son ex mari, n’étant qu’un simple petit agent commercial. Elle aménage à son goût l’immense appartement de Philippe. Celui-ci lui permet d’organiser des petites fêtes pour se faire des amies et mieux s’intégrer dans sa nouvelle vie.
Heureuse, elle l’écrit à sa mère, à ses beaux-parents, tout en ajoutant, malgré tout, qu’elle ne peut oublier Xavier. Combien elle continue d’être hantée par sa disparition, qu’elle ne s’explique toujours pas. Et parle souvent à Philippe de son ex. Le savoir heureux, lui aussi, quelque part lui apporterait la quiétude qui lui manque, la rassurerait. Bref, la déculpabiliserait. Certes, ajoute-t-elle, il lui faudrait du temps pour accepter sa trahison, mais elle se réjouirait de le savoir en vie. Le problème est qu’elle s’en ouvre un peu trop souvent à son mari, au goût de celui-ci. D’ailleurs, il a le plus grand mal à vivre avec le portrait de Xavier sous son nez, dans le salon, et jusque dans sa chambre. Il le dit à Céline qui se fâche. Philippe argue qu’il ne supporte pas de vivre avec une tierce personne, un rival entre eux et que cela devient insupportable.
Heureusement, Céline tombe enceinte bien à propos. Sa grossesse est difficile, et elle doit veiller à ne pas se fatiguer. Ne pas s’énerver, rester calme. L’une de ses nouvelles amies, la femme du collaborateur le plus proche de Philippe, lui rend souvent visite. Les courses pour confectionner la garde-robe de Bébé, l’aménagement de sa chambre, lui font heureusement oublier Xavier et sa mystérieuse disparition. Les jumelles arrivent à point nommé pour mettre un comble au bonheur de Céline.
Les années passent. Les enfants grandissent et les jumelles vont bientôt fêter leur sixième anniversaire. De Xavier, hélas, toujours aucune trace. Il s’est volatilisé. Il paraît qu’il y en a comme ça plusieurs milliers par an, qui s’évaporent dans le néant, sans jamais refaire surface. Avec le temps, la disparition de Xavier a laissé un grand vide, une interrogation enfouie, mais qui fait toujours mal. Kévin et Stéphanie n’en parlent jamais. C’est tabou. Céline, elle, garde comme un flou au coeur. Elle le dit souvent à Philippe, sans se douter que, chaque fois qu’elle aborde le sujet, elle ravive un horrible souvenir qu’il préférerait oublier. Et relance sa terrible culpabilité. Il aimerait tellement confier cet insoutenable poids à quelqu’un. Avouer l’horreur, mais il ne peut pas. Parfois, le souvenir le hante à ce point qu’il n’a pas d’autre ressource que de plonger dans l’alcool. Pour oublier. Noyer sa honte et son remord. Il devient alors agressif et méchant. Sa femme lui apparaît comme celle par qui le mal arrive. C’est presque elle… la coupable ! Il doit lutter contre l’envie de la détester carrément, comme si au fond, il n’y avait pas d’autre issue. Elle qui est venue le relancer jusque chez lui, pour l’empêcher d’oublier. De vivre ! Et replonger continuellement le couteau dans la plaie.
Sur ces entrefaites, Philippe est muté à Paris, où il doit prendre la direction internationale du service export du groupe. Il accepte, dans l’espoir aussi que le déménagement, l’adaptation à une nouvelle vie dans un quartier charmant et romantique de la capitale, leur renouvellera les idées. Relancera leur amour, et qu’ils pourront repartir d’un bon pied. Tout se passe au début comme prévu et Philippe croit bénéficier d’une rémission. Il respire, se sent anesthésié, ne boit plus, semble de nouveau amoureux de sa femme. Bref, Céline a le sentiment que tout est redevenu comme avant. Mais le téléphone sonne. Elle décroche. Son ex belle-mère lui annonce que son mari, le père de Xavier, vient d’être emporté par un infarctus et qu’elle souhaiterait qu’elle vienne à son enterrement. “Après tout , il était quand même le grand-père de tes enfants”, croit-elle utile de rappeler. A ce titre, ce serait normal qu’elle, Céline et ses enfants, soient à l’enterrement du papa de Xavier. N’est ce pas ? Céline, évidemment accepte. En profite pour demander à sa belle-mère des nouvelles, savoir si Xavier n’aurait pas donné signe de vie à sa mère, entre temps. On ne sait jamais… un miracle !
Mais non, rien. Cela fait maintenant dix ans que Xavier a disparu. Céline décide de rendre visite à son ex belle-mère pour l’aider à organiser les funérailles et lui remonter le moral. Elle va la voir et bien sûr, la visite est terrible. Eprouvante. Juliette en a profité pour ressortir de vieilles photos bouleversantes, celles de l’enfance de Xavier, de sa jeunesse, et même de leur mariage, il y a de cela dix huit ans. Les photos n’ont même pas eu le temps de jaunir. Elles sont brillantes, éclatantes de vie, de bonheur, de jeunesse et de joie. On dirait qu’on les a prises hier. Céline s’aperçoit qu’elle n’a rien oublié et ne peut retenir ses larmes. Elle ne comprend toujours pas ce qui a pu arriver à son ex-mari et entend Juliette lui avouer que, pour elle, il n’a pas disparu, qu’il ne peut pas avoir disparu, et qu’elle en est désormais sûre ! “Il a sûrement été assassiné, là-bas en Alsace”, lui assure-t-elle et elle ajoute même que “quelqu’un le sait très bien”. “Elle en donnerait sa main à couper. Son intuition de mère ne la trompe pas”, confie-t-elle à sa bru.
Céline frissonne d’horreur, mais écoute, perplexe. Elle n’avait jamais envisagé cette possibilité. Du moins, pas vraiment. La police non plus, d’ailleurs. Pourquoi quelqu’un en aurait-il voulu à la vie de son mari ? L’hypothèse était absurde. Et l’est toujours. Ca n’a pas de sens. “Mais un accident, Céline, y as tu songé, demande Juliette ? Après tout, c’est possible ! Et le témoin, de peur d’être inculpé aurait dissimulé le cadavre et se serait tu. Qu’en dis-tu, demande Juliette en insistant ?”
Céline quitte sa belle-mère après avoir réglé les détails de l’enterrement. Elle reviendra, promet-elle pour choisir une sépulture. En attendant, la jeune femme sent comme une oppression qui l’empêcherait presque de respirer. Xavier assassiné ? Ce serait trop atroce, insoutenable, même ! Elle retourne chez elle et met son mari au courant de sa visite, et des soupçons de Juliette. Celui-ci réagit très mal. “A non, s’exclame-t-il, toute cette histoire ne va recommencer, hurle t-il. Quand vas-tu pour de bon enterrer ton mari une fois pour toutes ? J’en ai assez qu’il vienne continuellement perturber notre vie !”
Mais Céline se fâche. Elle met sur le compte de la jalousie la colère de son époux, et s’entête à lui seriner que Juliette a sans doute raison, qu’on a peut être pas à son avis creusé suffisamment cette piste de l’accident, et que la police a sûrement mal fait son travail, comme d’habitude. Et voilà que Philippe recommence à boire. Il refuse de toute façon d’aller à l’enterrement, sous le prétexte qu’il n’a rien à voir avec cette famille. Alors, Céline s’y rend seule avec les enfants.
Les jumelles se serrent l’une contre l’autre. Elles ne savent pas trop bien ce qu’elles font là. C’est un vieux monsieur qui est mort, a dit maman. “C’est quoi la mort, demande l’une d’entre elles, tout bas ? C’est quand tu ne bouges plus, et qu’on te met dans la terre, dit l’autre.” Kévin lui fait signe de se taire. Il pleut. Stéphanie pense à son père et s’aperçoit avec horreur qu’elle ne se rappelle plus du tout qu’elle tête il avait. Au fond, c’est comme si il était mort lui aussi, sauf qu’on n’est jamais allé à son enterrement, pense-t-elle. Le curé a fini de bénir le cercueil et Grand-Mère Juliette a bien du mal a retenir ses larmes. Et ce ne sont pas tous ces vieux messieurs en noir qui égayent l’atmosphère du cimetière où volettent les feuilles d’automne. Stéphanie se dit qu’elle a décidément horreur des feuilles mortes, des vieux Messieurs et des cimetières en général.
Céline avec sa mère et les enfants raccompagne sa belle-mère chez elle. C’est un triste jour. Après avoir partagé le repas de funérailles, où, comme de bien entendu, l’on a ramené à la surface la disparition de Xavier, Céline trouve en rentrant son appartement vide. Encore une fois, son mari va revenir à la maison complètement bourré ! Il en a pris l’habitude depuis quelques jours. Il aura sûrement fait une nouvelle virée dans les boites de nuit à la mode, qu’il s’est mis à fréquenter bizarrement depuis la mort du père de Xavier. Céline n’y comprend rien. Ce n’était pas son père, pourtant, et c’est à peine s’il connaissait le vieux monsieur.
Quelques mois passent. C’est le printemps. Devant la fenêtre grand ouverte de la salle à manger, elle entend le gazouillis joyeux des petits oiseaux du square voisin. La concierge vient de monter le courrier. Céline l’a machinalement déposé dans une assiette en argent sur un meuble du couloir. Mais l’enveloppe du dessus attire immédiatement son attention. C’est une lettre de la police de K…. Le nom lui est de sinistre mémoire.
C’est celui du village où son mari était parti en séminaire, et d’où il n’est jamais revenu. Elle s’empare prestement du coupe-papier et ouvre l’enveloppe. Elle déplie fébrilement la feuille. La police lui indique que des travaux d’installation du câble pour la télévision ont mis à jour un cadavre, dont les traits ont bien sûr disparu. Le policier ajoute qu’on a retrouvé sur lui une chevalière en or, où figure le nom de Céline. Avec une date. La jeune femme tâte le fond de l’enveloppe et y découvre effectivement un objet soigneusement emballé. La police lui demande d’examiner le bijou et de lui faire savoir au plus vite si elle reconnaît la bague. Elle manque s’évanouir, défait le petit paquet et reconnaît la chevalière qu’elle avait offert à Xavier pour leurs fiançailles. Le souffle coupé, téléphone à Juliette. L’enquête est rouverte.
Cette fois, la police recherche bel et bien un assassin. Et tous les témoins vont être de nouveau interrogés. Y compris Philippe, que la police désire bien entendu à nouveau entendre. Mais Philippe est pour le moment intouchable. Il n’est pas rentré à la maison de plusieurs jours et, aux dernières nouvelles, son bureau apprend à Céline qu’il est parti en mission. En Asie, pour des raisons professionnelles. La journée a été rude, Céline n’a plus qu’une envie : aller se coucher. Elle se met en pyjama, s’installe à sa coiffeuse pour se brosser les cheveux et réfléchit. Ce serait presque comique la façon qu’elle a de froncer les sourcils et de voir la gymnastique qu’elle fait avec sa bouche pour se concentrer, si la situation n’était pas aussi tragique. Juliette avait raison. Mais qui a bien pu faire le coup ?
Elle passe en revue tous les acteurs du drame et secoue la tête. Ils ont tous l’air si bien. Si tranquilles. De si bons pères de famille ! Vraiment, cette histoire prend un tour qu’elle n’aime pas. Après tout, se dit elle, on a peut être rouvert l’enquête pour rien. Comment, à si longue distance, retrouver des indices pour identifier le véritable meurtrier ? Ce n’est peut être pas obligatoirement un membre du séminaire, après tout. Mais peut être, un inconnu qui passait par là. Découragée, elle décide de prendre son livre et de se mettre au lit.
De la page de garde s’échappe une enveloppe blanche, sur laquelle elle reconnaît l’écriture de son mari. “Pour Céline”, lit-elle. Elle l’ouvre et lit. Presque le coeur battant. Pourquoi Philippe lui a-t-il laissé ce mot, comme si le téléphone n’existait pas ! Philippe lui avoue d’abord son amour et son calvaire d’avoir enduré pendant toutes ses années l’horrible souffrance, celle de la culpabilité qui se tait. Il lui raconte l’affreuse soirée. Leurs beuveries. Leur dispute, et le direct qui envoie Xavier sur une ridicule petite pierre. La mauvaise chute fatale et son affolement. C’est lui le coupable, lui le meurtrier, lui qui a enterré son mari comme un sanglier qu’on a heurté sur la route, pour qu’il n’empuantisse pas le voisinage ! Celui qu’elle recherche depuis tant d’années ! Maintenant, elle sait tout, lui dit Philippe. Elle peut aller à la police, pour qu’ils viennent le cueillir à son retour de Bangkok. Il rentre lundi au petit matin. Il se livrera sans difficulté. Il lui dit Adieu et qu’il l’aime, elle et les enfants. C’est tout, c’est trop !
Céline repose l’enveloppe. Elle voudrait sangloter, mais elle ne peut pas. Elle reste là, assise, comme un bloc de pierre. Sidérée. Pétrifiée. Elle ne peut y croire. Ce n’est pas possible, se dit-elle. C’est un cauchemar. Mais la lettre est là, pour témoigner. Non, elle ne rêve pas. C’est Philippe, son mari, l’assassin ! Elle reprend la lettre dans ses mains, la relie pour être bien sûre, peser chaque mot. Et pleure. Puis essuies ses larmes. Chloé, sa fille, l’appelle. Elle se lève. Un cauchemar d’enfant sans doute. “Où est Papa, murmure l’enfant dans un demi sommeil ? Dis maman, quand est ce qu’il va revenir, Papa” ? “Bientôt, ma chérie. Bientôt, rendort toi.” Céline borde l’enfant, laisse la veilleuse allumée et retourne se coucher. Mais elle n’a pas sommeil. Comment pourrait-elle jamais retrouver le sommeil ?
D’abord, c’est l’horreur qui la terrasse. Et puis, elle se secoue, et va dans la cuisine se faire une tasse de thé. Pour essayer de réfléchir, calmement. Et la voilà partagée. En morceaux. L’une qui pleure, chavirée, l’autre qui réfléchit, mesurée. Qui va l’emporter ? Le thé brûlant la ressaisit. Et elle se demande : qu’est-il arrivé au fond, ce soir de février, pendant cette soirée de carnaval ? Une soirée bien arrosée, deux hommes qui boivent plus que de raison, parce qu’ils n’ont rien à faire de plus intelligent, et parce que tout le monde le fait. Deux hommes qui ont envie de plaisanter, d’oublier le stress, le boulot, les contraintes de la vie… et qui s’amusent comme des collégiens à s’envoyer des vannes. Mais l’un le prend mal, se croit insulté, et les voilà qui en viennent aux mains. Un crochet auquel l’autre répond par un droit bien envoyé, et le premier tombe à la renverse.
Une pierre, qui se trouvait au mauvais endroit, va finir le boulot. Et voilà ! Que reste-t-il au bout du compte ? Un homme, un mort et un assassin. Un assassin qui n’est autre que son mari, et le père de ses enfants. Le père d’une petite fille qui vient dans son cauchemar de demander : “où il est, Papa” ? Est-ce que le dénoncer, le livrer à la police va lui ramener Xavier ? Céline pleure et secoue la tête. Les larmes lui coulent des yeux toutes seules et tombent sur la table de la cuisine comme des gouttes de pluie. Elle a déjà perdu un mari à cause de cette beuverie imbécile.
Va-t-elle maintenant perdre le second ? Elle retourne vers sa chambre. Kévin et Stéphanie sont chez des amis. Elle ramasse l’enveloppe et la lettre par terre. Elle la relit encore une fois. Puis avise la vieille cuisinière en fonte qu’elle a ramenée de la maison de campagne de sa mère. Et qu’elle chérit, tant elle lui rappelle de souvenirs. Elle l’ouvre.
Le feu crépite joyeusement. La police ne saura rien. Elle jette la lettre dans les flammes et la regarde se recroqueviller. Devenir braises, puis cendres. Et essuie ses larmes. Elle le sait, elle ira chercher Philippe elle-même à l’aéroport, avec les jumelles. Et elle l’embrassera. Sans rien lui dire, sinon : “viens, rentrons chez nous” ! Et c’est ce qu’elle a fait.
Céline a passé une nuit blanche, habillé les filles à la va-vite. A cinq heures, elle a pris un taxi pour Roissy. Elle a croisé Kévin et Stéphanie dans l’escalier. Ils ont embrassé leur mère sans lui demander où elle allait. Céline a poussé les gamines et s’est engouffrée à leur suite dans le taxi qui déjà, l’attendait. A l’arrivée, Philippe a cherché les képis, mais n’a rien vu qu’un tout petit bout de femme en gabardine beige et deux lutins qui lui faisaient de grands signes. Il a compris. Il n’a rien dit, les a serrées dans ses bras, des larmes plein les yeux.
La police a convoqué tout le monde, une énième fois. En vain. Aucun nouvel indice n’a pu permettre d’élucider le crime. Juliette a appelé Céline. Pour lui dire son chagrin. Céline l’a laissé pleurer sur son épaule. Et lui a dit tout doucement qu’elle connaissait l’assassin. Qu’elle allait lui dire son nom, et qu’elle pourrait aller le livrer à la police, si bon lui semblait. Elle lui a raconté toute l’histoire. Les masques de carnaval, les rires, les canettes de bière, les confettis, les chansons grivoises. L’atmosphère surchauffée des bars de la ville, les plaisanteries douteuses qui fusent, les types bourrés, pleins comme des barriques, qui s’interpellent, se bousculent. Deux types qui plaisantent, s’envoient des vannes et qui en viennent aux mains. Avec l’un des deux qui reste sur le carreau. Bêtement. L’affolement de l’autre… “Qui n’est autre que l’assassin de Xavier, Juliette ! C’est Philippe, mon mari ! Il vient de me le dire. Et j’ai décidé de ne rien raconter à la police. Pour nous, comprends-tu, pour les enfants. Tu sais tout maintenant.”
Juliette a écouté. Sans rien dire. Et a beaucoup pleuré. Elle a serré Céline sur son coeur. “C’est bien ma petite ! Je te remercie de m’avoir tout dit. Nous allons pouvoir enterrer Xavier maintenant. A côté de son père. Ce sera bon de pouvoir aller prier sur sa tombe. Rentre chez toi. Je ne dirai rien”.
FIN
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